Opinions of Wednesday, 14 March 2018

Auteur: hurinews.com

Violée par un prêtre: la petite Annie Evindi privée du droit à un procès équitable

La petite Annie Evindi âgée de 3 ans a été violée par un prêtre La petite Annie Evindi âgée de 3 ans a été violée par un prêtre

La justice institutionnelle et divine voleront-elles au secours du « bébé Annie » ? Vêtu d’un pantalon blue jeans délavé, chemise blanche et une casquette jaune vissée sur le crâne, c’est un Louis Roger Engamba tout sourire que le reporter de hurinews.com a rencontré ce lundi 5 mars 2018 au quartier Mvog Ada à Yaoundé.

Mais à l’évocation de la situation de sa petite fille Annie Evindi, âgée de 5 ans depuis le 2 février dernier, le visage radieux se dissipe pour faire place à la colère : « si je ne m’étais pas maîtrisé ce jour-là, j’allais commettre un crime et puis aller en prison », rage cet instituteur qui promet d’aller jusqu’au bout pour que justice soit rendue à sa petite fille malgré les menaces qu’il subit : « j’ai reçu des appels anonymes me demandant de laisser tomber cette affaire car je suis en train de m’attaquer à des puissants qui peuvent m’assassiner », confie t-il en montrant l’historique de ses appels téléphoniques qui laisse justement apparaître 4 appels de numéros inconnus en février dernier.

D’après la note d’information N°101/MC rendue publique le 19 novembre 2017 par Mandela Center, comptoir d’assistance judiciaire mandaté par la famille de la victime pour défendre ses droits, la petite Annie Evindi, alors âgée de 3 ans et 4 mois, doit offrir une prestation scénique à la pré-maternelle de l’école catholique de la paroisse d’Abang à Ebolowa (sud du Cameroun) le 29 mai 2016 à l’occasion de la clôture de l’année scolaire de 2015/2016 : « …après son annonce sur scène, elle était absente de la salle et plusieurs personnes ont affirmé avoir vu le prêtre ZE ONDOUA Martin la tenir par la main, au milieu de ses camarades, pour quitter la salle de cérémonie, en direction de ses appartements privés à la procure ; Qu’une fois dirigée vers la chambre du prêtre, la foule a été contrainte de défoncer la porte face à la résistance farouche de ce dernier, pour découvrir l’horreur: la petite fille dans un état d’inconscience, saignant abondamment au niveau de ses parties génitales » lit-on dans le communiqué de Mandela Center.

Flagrant délit

Le prêtre de l’Eglise catholique a donc été surpris en flagrant délit de viol sur mineure, selon Mandela Center. M.Engamba, le grand père de la victime, a entrepris le 31 mai 2016 de porter plainte contre le prélat au Tribunal de grande instance d’Ebolowa pour « viol, arrestation et séquestration arbitraire, pratiques de sorcellerie ». Mais le procureur près ledit tribunal, Gervais Ondoua Belinga (affecté à une autre juridiction le 7 juin 2017), plutôt que de déclencher la procédure comme le préconise la loi conseille au plaignant de saisir le ministère de la Justice car selon le magistrat, il s’agit d’un ministre de Culte : « le Nouveau Code de Procédure Pénale (Loi n° 2005/007 du 27 juillet 2005 portant Code de procédure pénale, ndlr)ne prévoit aucun traitement particulier pour un Ministre de culte en cas de crimes aussi graves », souligne Mandela Center dans son communiqué.

Le comptoir d’assistance judiciaire va entreprendre de saisir par correspondance, le ministre de la Justice, le ministre de la Santé, Le Nonce apostolique (représentant du Saint Siège au Cameroun et en Guinée Equatoriale), l’Archevêque métropolitain de Yaoundé (dont dépend le diocèse d’Ebolowa-Kribi), le bureau de l’UNICEF au Cameroun et l’ONG Plan Cameroun. Aucune suite favorable n’y est donnée. Après une nouvelle plainte déposée cette fois-là par Mandela Center le 9 octobre 2017 au TGI d’Ebolowa pour viol, arrestation et séquestration, blessures graves et pratiques de sorcellerie, le nouveau procureur de la République Eric Priso va coter le dossier administratif (DA) N° 930/PPEB/EC/P bouclé depuis juin 2016 à la présidente du tribunal à travers un réquisitoire introductif d’instance. L’affaire va être confiée au juge d’instruction N°3, Clément Déri. Ce dernier va auditionner les parents de la victime le 18 janvier 2018 en présence des membres de Mandela Center et du collectif d’avocats mobilisé pour défendre la victime.

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Depuis cette date, la procédure est bloquée. Le prêtre Ze Ondoua dont Mandela Center a toujours appelé à la mise sous mandat de détention provisoire a-t-il été inculpé ? On n’en saura pas plus au cabinet du juge d’instruction N°3 du TGI d’Ebolowa ce 6 mars 2018 où le greffier d’instruction Me Gilbert Zambo confie à hurinews.com que l’instruction est secrète mais confirme que le dossier est bel et bien entre les mains du juge d’instruction : « c’est de cette affaire que vous parlez ? », demande le greffier en sortant d’une pile de documents une chemise volumineuse de couleur vert olive. L’avocat de la famille ne se souvient pas que l’accusé ait été entendu : « il s’agit d’un flagrant délit…le juge nous a dit qu’il est question qu’un témoin-clé de la partie civile qui n’est autre que la petite sœur de M.Engamba comparaisse. Mais elle se trouve du côté de Bertoua (à près de 500 km à l’est du pays, ndlr), et pour qu’elle vienne à Ebolowa, il faut de l’argent. C’est à ce niveau que la procédure achoppe. Sinon, le prêtre n’a jamais été entendu chez le juge », explique Me Njon Nicodemus qui dit n’avoir vu aucun acte d’inculpation ni ordonnance à fin d’informer adressés à l’accusé.

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Congrégation pour la Doctrine de la Foi

En d’autres termes, depuis l’interrogatoire des parents de la victime le 18 janvier dernier, le présumé auteur du viol n’a jamais été entendu chez le juge. Contrairement au témoin que le juge dit attendre pour poursuivre l’instruction, le suspect lui se trouve dans la ville d’Ebolowa. Mais le TGI d’Ebolowa visiblement l’évite. Pourtant, en ce qui concerne la comparution du témoin, l’article 189 du Code de procédure pénale camerounais dispose que « si le témoin est dans l’impossibilité de comparaître, le Juge d’Instruction peut, soit se transporter pour l’entendre, soit délivrer à cette fin commission rogatoire » à un autre juge d’instruction ou à un officier de police judiciaire. Qu’est-ce qui empêche le juge Clément Déri de déclencher cette commission rogatoire auprès des juridictions du lieu de résidence du témoin ou alors de se rendre lui-même à Bertoua pour entendre ce témoin de la partie civile ?

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Du côté de l’Eglise catholique, la famille du « bébé Annie » ne peut rien attendre non plus en termes de justice. Le prêtre présumé auteur du viol officie toujours à la paroisse catholique d’Abang à Ebolowa. Le reporter de hurinews.com qui s’y est rendu le 6 mars 2018 pour rencontrer le prélat s’est entendu dire par une dame travaillant au presbytère qu’il se trouve en déplacement à Ngoazip, village situé à une trentaine de kilomètres d’Ebolowa. Il n’a donc pas été sanctionné par sa hiérarchie.

L’évêque d’Ebolowa-Kribi était également absent au moment où nous nous y trouvions. L’archevêque de Yaoundé que nous avons rencontré de retour d’Ebolowa a dit ne pas vouloir aborder le sujet. Depuis 2011, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi (CDF) souligne clairement dans une lettre-circulaire que « l’abus sexuel de mineurs n’est pas simplement un délit au plan canonique. C’est aussi un crime qui fait l’objet de poursuites au plan civil». Mais rien n’indique au regard de la procédure pénale en cours que l’Eglise catholique collabore avec la justice pénale. Bien plus, si des mesures disciplinaires avaient été prises contre le prêtre Ze Ondoua Martin, il ne serait pas en mission sacerdotale à Ngoazip.

Face à cet autre scandale sexuel au sein de l’Eglise catholique, cette dernière se mure dans un silence tandis que la justice pénale brille par un aveu d’impuissance. L’Etat et l’Eglise ont-ils démissionné de leur rôle de protéger les mineures contre les prédateurs sexuels? L’élimination des violences sexuelles au sein de l’Eglise catholique serait-elle un casse-tête chinois pour les Etats africains ? En attendant une lueur venant du Ciel, privée d’accès à un procès équitable, il ne reste plus qu’à la famille de la petite Annie Evindi de se battre pour permettre à cette dernière de recouvrer sa santé et son équilibre psychologique : « il arrive des moments où quand elle dort, elle se réveille dans la nuit en criant ‘laissez-moi’, ‘laissez-moi’ », témoigne son grand-père.