Opinions of Tuesday, 24 October 2017

Auteur: Patrice Nganang

Voici ce qui pourrait détruire le Cameroun

L'écrivain camerounais Patrice Nganang à Rusape, une ville du Zimbabwe. L'écrivain camerounais Patrice Nganang à Rusape, une ville du Zimbabwe.

La mesure de l’inacceptable c’est l’équerre du changement. Chacun de nous a un nombre de choses qu’il n’accepterait pas : permettre à son ami de coucher avec sa femme, donner de l’alcool aux enfants, laisser la police entrer chez vous arrêter votre enfant, la liste est longue, mais aussi culturelle. Cette distinction est éthique, et de ce point de vue, elle est le fondement de la vie en communauté. C’est-à-dire de l’art du vivre ensemble qui est la politique. La mesure de l’inacceptable, c’est ce qui est le moteur de l’indignation, et donc le propulseur de la dissidence. En soi, c’est dans son cœur que se trouve le courage de mettre en branle les choses, afin que justement l’inacceptable n’aie plus lieu. C’est ce qui fait chacun de nous dire pas seulement ‘non’, mais, jamais plus ça !

Comme au niveau des individus la mesure de l’inacceptable est différente, il en est de même au niveau de communautés. L’histoire récente de notre pays nous a montré qu’elle est différente des deux côtés du Moungo, mais aussi, mais surtout, que c’est cette différence qui propulse notre histoire. Tenez donc, comme le dit si brillamment Harry Acha, activiste social, leader de Generation Change, ‘en 1990 quand les Anglophones exigeaient le retour au multipartisme, comme aujourd'hui ils exigent le retour au fédéralisme, ce n’était pas parce que les régions francophones du pays avaient d'autres partis politiques que le parti unique d’alors. Les conditions étaient les mêmes à travers le pays, mais la mesure des Anglophones de ce qui est acceptable était différente.’

C’est-à-dire que mis devant des conditions politiques identiques, la tyrannie, par deux fois dans notre histoire depuis 1984, les Anglophones ont démontré que leur mesure de l’inacceptable était différente de celle des Francophones. Ces données sont essentielles, car elles définissent la différentielle de la dissidence chez nous. Il faut bien le dire : si en 1990, les mouvements pour la démocratie avaient pris naissance partout dans des capitales nationales, Dakar, Cotonou, Lomé, Brazzaville, Libreville, Kinshasa, c’est bien au Cameroun seulement que c’est dans une ville de province, Bamenda, que les premiers morts pour la démocratie ont été enregistrés. Quand mise devant la passivité francophone comme à Douala hier, la révolte anglophone de ces jours-ci fait de cette exception camerounaise de 1990 un paradigme, même si, cette fois, la conjoncture internationale n’est pas du côté anglophone, sevré qu’il est de ce qui en 1990 était le vent d’Est, et il y’a cinq ans, le printemps arabe.

Joseph Wirba l’a dit clairement en décembre 2016 : ‘la question anglophone a le potentiel de détruire le Cameroun.’ Le paradigme camerounais du changement veut que celui-ci ne trouve pas son impulsion dans la centralité de la capitale avec ses sous-quartiers et leur lumpenproletariat qui font rêver des marxistes comme Enoh Meyomesse, mais plutôt dans la question des minorités, ici, de la minorité anglophone. Historiquement ce paradigme nous renvoie aux Etats-Unis. La mesure de l’inacceptable telle que définie par les noirs-américains est en effet ce qui y a mis en branle jadis le processus d’acquisition des droits civiques par tous. Martin Luther King est ainsi au commencement du changement dans ce pays-là, pas parce qu’il a marché dans sa capitale, Washington DC, mais parce qu’il a compris que c’est en insistant sur la question des noirs, que l’Amérique changerait dans son entier. Durant ces années-là, il avait aussi la conjoncture internationale de son côté, c’est-à-dire les mouvements nationalistes qui secouaient alors le tiers monde. Avec le conflit anglophone, le Cameroun n’est pas diffèrent. Voilà son exception politique en Afrique.