Le texte ci-dessous est une analyse de l’écrivain et cinéaste Camerounais Bassek ba Kobhio sur la crise anglophone qui secoue le Cameroun.
Pour le cinéaste, la crise anglophone actuelle résulte de décisions historiques qui ont marqué l’histoire du Cameroun notamment le partage du Cameroun en 1916 entre Anglais et Français.
Dans cette analyse publiée dans le numéro 2963-2964 du magazine Jeune Afrique, Bassek ba Kobhio évoque également des pistes de solution pour reconstruire le tissu social camerounais.
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«Il manque à la pâte camerounaise la levure qui la ferait lever »
En soixante ans d’indépendance, l e s Camerounais n’auront pas réussi à gommer le résultat de cinquante années de colonisation. Je passe la période d’avant, lorsque par un coup de crayon sur un coin de table, en 1885, une main décida que ce serait ça, le Cameroun. Je saute aussi la colonisation allemande, pour me retrouver en 1916, devant les projets français et anglais qui, pour différents qu’ils furent dans la méthode, ne visaient qu’un seul but : fabriquer des êtres serviles qui ne regarderaient que dans la direction de leurs maîtres.
Et pourtant les Camerounais forment en Afrique un ensemble singulier, fort de près de 250 ethnies pour plus de 20 millions d’habitants, dont aucune composante ne peut se considérer plus autochtone qu’une autre. Ce peuple qui s’est battu pour sa libération les armes à la main connaîtrait donc des velléités de sécession, soixante ans seulement après les retrouvailles heureuses et consenties d’un peuple que l’on avait éclaté en deux malgré lui?
Il y a beaucoup de raisons à cela, qui tiennent presque toutes à la mal-gouvernance. Mais il y a aussi en bonne place une incroyable phobie de l’Histoire et de sa vulgarisation qui a fait que, depuis l’indépendance, on renvoie nos jeunes à des héros d’ailleurs plutôt qu’aux leurs. Être parti du même point, en 1885, ne garantissait pourtant pas un vécu commun sans heurts. Mais l’unité culturelle du Cameroun n’est pas un mythe.
Chaque Camerounais se sent l’héritier d’une histoire singulière, et tous partagent la fierté d’avoir vaincu le colonisateur. Ils se reconnaissent dans des valeurs et dans une culture commune. Il y a aussi une cuisine camerounaise, une musique camerounaise, un art camerounais et même une manière d’être et de vivre camerounaise. Les Camerounais, anglophones et francophones, ont la conscience d’une communauté de destin.
Mais manque à la pâte cette levure qui la ferait lever. Les générations qui n’ont pas vécu les luttes d’indépendance ou celles de la démocratisation ont un besoin d’épopée. Il leur faut un imaginaire collectif auquel se référer pour transcender les différentes langues officielles qui s’imposent à eux tous les jours. Il faudrait cependant que cette épopée et cet imaginaire soient entretenus dans la conscience de tous les citoyens.
La réhabilitation et la diffusion de l’Histoire, en même temps que la promotion d’une culture nationale, doivent être une priorité. Elle peut jouer un rôle éminent dans le renforcement de l’unité du Cameroun, tant il est vrai que, même pour de vieux pays, elle reste toujours un projet à parfaire. Tout cela suppose cependant que les gens se fréquentent, sortent de leurs régions et aillent au-devant les uns des autres.
À cet égard, l’Université du Cameroun, du temps où elle était unique pour tout le pays, a favorisé ce brassage qui manque aujourd’hui. La diffusion de l’Histoire constitue le pôle à partir duquel peut se renforcer l’unité camerounaise qui tend à tanguer sous les assauts des luttes politiques et politiciennes. La conscience de ce roman national ne pourrait que raffermir le sentiment patriotique des Camerounais.