Contrairement ce que plusieurs camerounais pourraient penser, Nadia Fotso éprouve un grand respect pour la première dame du Cameroun. Maman, femme puissante et qui, surtout, a pu s'imposer dans un monde d'hommes violents qui ne fait pas de cadeau à la femme, Chantal Biya est pour la fille de Victor Fotso, une source d'inspiration et la seule personne au Cameroun, qui peut encore l'aider. Ci-dessous, la lettre de Nadia Fotso à la première dame du Cameroun.
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"Chère Chantal Pulchérie Vigouroux Biya,
Cette lettre m’a demandé du temps. Trouver, peser les mots a été pénible. Je dois vous parler de moi sans détour, sans diluer ou maquiller le cru, le lourd et le laid qui empestent en prenant le risque de ne pas être entendable.
Ignorer une femme défigurée qui clopine, hurle et pleure sans cacher ses larmes et ses plaies n’est possible que dans une société dont les puissants donnent le ton et montrent l’exemple en approuvant directement ou tacitement la lâcheté, le silence, et la violence qui font du handicap un signe du mal et de folie. Toutefois, parce que c’est la journée internationale des droits des femmes, je prends ma plume pour écrire la plus personnelle et la plus militante de mes lettres publiques. Son but n’est ni de vous apostropher ni de vous bousculer mais de vous offrir la plus belle des récompenses : la reconnaissance et la démonstration la plus implacable de votre légitimité politique et de votre influence.
Mon histoire est idiote, singulière et monstrueuse. La douleur, la tristesse et la colère me feront quelques fois trébucher. Son écriture n’est pas terminée ; le dénouement de son épisode le plus remuant dépend de vous. Il y a une flamme que le souffle d’une inhumanité camerouniaise a éteinte. Vous pouvez choisir avec brio de la rallumer en rappelant que l’Afrique n’est pas le cœur des ténèbres. Je ne me raconte aussi librement qu’aux personnes qui savent saisir l’horreur parce qu’elles ont confronté ce mépris et cette sauvagerie chics qui réduisent les faibles à des êtres inférieurs qui doivent être cantonnés aux cuisines du château. Madame Biya, je vous sais capable de la comprendre. Vous avez cassé un plafond de verre en transcendant tant de préjugés et d’obstacles d’un vieux monde viriliste. Vous avez refusé le convenu, bataillé, gagné et enfin duré.
Il est essentiel de rappeler la place à part que vous avez pour les Maptué. En effet, en 1999, c’est vous qui remettez le prix de la meilleure maman du Cameroun à celle dont je porte le nom et dont je suis le tombeau. Tout est là. Je suis la mère têtue et droite dans ses bottes de mon papa… Celle qui s’adresse à vous est une femme débout en dépit des coups, des trahisons, des viols, d’infanticides et de fratricides ratés ou inachevés dus simplement au fait qu’est la fille handicapée d’une légende africaine qui se prend pour son fils et qui l’a idolâtré. Fotso Victor a fait pour moi ce qu’il n’a fait pour aucun autre enfant non seulement par amour mais par devoir : il a été une mère en me protégeant de ce regard si expressif qu’ont les vraies mamans pour le plus faible de leurs enfants. Cela a été longtemps mon bouclier contre son entourage dont il redoutait la férocité impitoyable accrue par la vénalité, l’oisiveté et l’inculture. Mon père n’a jamais eu peur d’accuser ceux que l’état du Cameroun considère comme ses seuls héritiers d’être responsables de ma jambe de travers. Il est allé beaucoup plus loin pour me faire comprendre sans doute trop tôt que j’étais seule et que j’avais tous ses gens contre moi même ma mère. Il était mon seul parent mais ne pouvait pas être présent.
Pourtant, ma vie débute tel un conte de fées. Je nais dans ce que les Camerounais obnubilés par l’argent appellent une grande famille. Tout change lorsqu’une maladie congénitale apparaît comme par enchantement et déforme ma jambe droite en me volant mon enfance, détruisant tout lien sain avec celle qui me met au monde et me mettant en marge de ce monde sauvage qui m’a toujours rejetée. Je suis une source de railleries, une croix pour ma mère et paradoxalement une fierté de mon papa parce que je me suis toujours prise audacieusement pour un garçon. Parce que je n’avais pas d’autre choix, je suis intelligente et suis bonne élève. Echapper à cette malveillance oppressante autour de moi et taire les mauvaises langues qui m’appelaient déjà la honte de Fotso ou son enfant Totem. Puis comprenant que je n’ai pas d’avenir au Cameroun en dépit de mon nom et ses privilèges, je m’évade avec la complicité de mon père pour un ciel plus humain.
Je n’ai pas subi d’amputation durant mon enfance parce que je n’avais pas de famille. Mon père qui avait une phobie extraordinaire et débilitante des hôpitaux a mis cette responsabilité parentale sur mes frêles épaules. La publication de mon premier livre en 2010 me libère. Je décide de me faire amputer en n’en parlant qu’avec mon père. Cette décision tout en me liant enfin à la vie immédiate et réelle a mis des secrets et le mal à nu en l’intensifiant. Encore une fois, Fotso m’avait prévenue. Il avait essayé de me protéger en m’éloignant de lui.
Mon périple médical a tout de même été parasité par la déchéance fracassante de mon père, la malfaisance de son entourage et des actes d’une cruauté ahurissante. Parce qu’il me semblait plus noble de me battre pour Fotso que pour moi, j’ai mis mon combat avec mon corps entre parenthèses pour m’assurer qu’il réussisse sa fin de vie. Je ne savais pas marcher mais mon devoir de mère et de fille était de tout faire pour qu’il meurt dignement.
En dépit des apparences et de son immense talent d’acteur, je voyais ce que mon père dissimulait avec génie parce que j’ai une relation intime avec la dépendance et l’impuissance. Pour l’aider, je me suis battue seule contre tous. J’ai vu du monde, beaucoup de gens du vôtre qui sentant que je n’avais pas l’argent de Fotso ont choisi l’autre camp, njitapé et tapé en dessous de la ceinture pour user de mon handicap pour me marginaliser et me disqualifier. Mon père a eu une attaque cardiaque ; mon corps abîmé a lâché ; la vieillesse et la terreur des humiliations publiques ont eu raison de l’honneur de Fotso Victor et de son amour pour Maptué.
Madame Biya, j’ai subi une troisième opération chirurgicale juin 2019. Elle m’a cassée et presque achevée. Mon séjour à l’hôpital a été pénible non pas parce que j’étais seule, je me suis enfin habituée à cette solitude, mais parce que le personnel médical me narrait moqueur les derniers actes publics de mon père forcé par son cercle nucléaire pour acheter le soutien de l’état et du parti présidentiel, messe d’action de grâce, fête luxueuse à Bandjoun, don d’un milliard pour la construction d’une église pendant que son enfant handicapée était mourante en Belgique et n’avaient que les services sociaux pour l’assister. Mon père et ses gens avaient déclaré publiquement qu’ils ne feraient rien pendant qu’ils assistaient un frère aîné qui était lui aussi près de la mort. Ma mère leur avait emboîté le pas. Un Ambassadeur du Cameroun qui sait pourtant la vérité l’a confortée lâchement et minablement dans sa conviction que même gravement malade, le plus urgent était de me punir et m’humilier. J’ai chuté et repris mes béquilles.
Madame Biya, je me suis résolue à rendre mon combat public pour me protéger. Je suis une révoltée pas une idéologue. J’ai reçu tellement de coups bas, tellement de raclées organisées dans des allées privées que j’ai compris que me taire signifiait finir égorgée par ceux qui ont mangé mon père. Et puis, il y a ce qui n’est pas racontable, la fin de Fotso et ma détermination à restaurer son honneur parce que je sais qu’il n’était pas handiphobe. J’ai eu le terrible et exceptionnel privilège que le décès de mon père a été la confirmation de ce qu’il avait toujours essayé de me faire accepter, cette impossibilité pour lui et moi d’être faibles dans un monde impitoyable avec ceux qui boitent. En voyant celle avec qui Fotso m’a faite sur le tarmac de Nsimalen accueillir sa dépouille entourée de ceux qui me combattent, j’ai compris combien il était facile au Cameroun de maltraiter un vieux lion qui n’a que sa fille handicapée. Et là, Madame Biya, je vous parle de votre monde, du rôle qu’il joue dans cette tragédie en faisant courir les contre-vérités les plus folles pour ne pas confronter sa misogynie qui devient encore plus vicieuse lorsqu’elle est aggravée par l’handiphobie. Tous ces chuchotements, cette mesquinerie, cette bassesse permanents venus d’en haut rendent l’injustifiable toujours défendable puisque les handicapés sont méchants. Ces bruits tolérés et ce silence approbateur et monstrueux de les puissants et influents qui tapent, njitapent ou se taisent font de ma camerounité un boulet que je traîne depuis ma naissance.
Vous avez une place non pas dans mon histoire mais l’Histoire. Madame Biya, la possibilité vous est donnée d’avoir une revanche de plus sur la vie ce 8 mars, 2022. Elle n’est pas une obligation et ne demande rien d’autre que vous montrez au monde ces qualités et cette différence qui font de vous la femme du moment et potentiellement celle de l’avenir. Comme celui de Fotso Victor, votre parcours est la preuve que l’intelligence du cœur est encore plus importante que celle des livres. C’est cela qui me permet de vous prier de faire ce qu’aucune des personnes que j’ai jusqu’ici interpellées n’a eu le cran et la grandeur de dire. Vous avez suffisamment de hauteur pour réaffirmer fortement des principes qui ne devraient faire l’objet d’aucun débat : Rien ne justifie l’handiphobie. Avec humilité, je vous demande de condamner sans équivoque toute forme de violence, toute discrimination contre les personnes en situation de handicap avec une pensée particulière en cette journée pour les femmes.
Une phrase de vous peut réparer beaucoup sans allusion à mon histoire, sans me croire, sans approuver mon combat, y prendre part, intervenir, en envoyant le message que vous avez des valeurs et qu’il y a bien des lignes rouges au Cameroun. Voilà, ce que j’avais à vous dire, Chantal Pulchérie Vigouroux Biya, pour confirmer en cette journée internationale des droits des femmes que votre voix porte. Le féminisme c’est aussi cela, faire des cas individuels des causes communes pour l’avancée de toutes. Je vous ai parlé de moi longuement, impudiquement pour parler de nous, de toutes ces femmes camerounaises et du monde qui ont besoin pour continuer de se battre pour elles-mêmes que les plus visibles d’entre nous se lèvent et disent NON, STOP pour changer le Cameroun, l’Afrique et le monde.
Je vous ai écrit, Madame Biya, convaincue que Chantou peut !"