Ce mardi 10 octobre, le général Tchiani a décidé d'expulser du territoire madame Louise Aubin, diplomate canadienne et coordinatrice de l'ONU au Niger depuis janvier 2021. Les autorités du CNSP (Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie) lui donnent 72 heures pour quitter le pays. Autrement dit, au plus tard ce vendredi, elle devra être retournée chez son père, Justin Trudeau.
La raison ? C'est simple : lors de la 78e assemblée générale de l'ONU qui s'est tenue du 19 au 26 septembre dernier à New York, le SG de l'organisation, mister Antonio Gutiérrez, a délibérément ignoré la délégation nigérienne présente sur les lieux, empêchant même les représentants du CNSP de prendre la parole à la tribune internationale. Le ministre des affaires étrangères nigérien, monsieur Bakary Yaou Sangaré, n'avait alors pas été autorisé à intervenir. Ceci étant entendu comme une sanction, suite au coup d'État du général Tchiani contre l'humoriste Mohamed Bazoum, survenu le 26 juillet 2023.
Mais ce que nos amis occidentaux et onusiens n'ont évidemment pas compris, c'est que l'Afrique applique désormais le sacro-saint “principe de réciprocité". C'est-à-dire « tu me fais, je te fais ; tu m'ignores, je t'ignore ; tu me chasse, je te chasse ; donc, tu m'aimes, je t'aime ». L'ONU qui n'a rien dit face au putsch constitutionnel organisé en avril 2021 au Tchad par la France - et ce alors même que les Tchadiens s'y opposaient -, n'a aucune cohérence à condamner le putsch révolutionnaire du Niger - alors même que les Nigériens soutiennent le CNSP -. C'est précisément ce type d'anachronisme qui fait perdre à ces instances internationales toute crédibilité.
LA TERRE MAUDITE
Dans mon article d'hier, je vous parlais pour la toute première fois du conflit israélo-palestinien actuellement en cours, et je vous faisais savoir que le principal responsable de la situation actuelle ne se trouvait dans aucun des deux camps. Le vrai coupable du chaos qu'on observe dans cette zone depuis 75 ans, c'est encore une fois cette ONU-là, pilotée d'une main de maître par les États-Unis. C'est l'ONU qui a décidé en novembre 1947 de faire passer la résolution 181 portant création de l'État d'Israël, alors même que les discussions avec les principaux concernés n'avaient pas encore abouti, et qu'aucun compromis n'avait encore été trouvé, ni avec les Palestiniens du territoire, ni avec les pays arabes riverains (Liban, Syrie, Egypte, Iran, Irak etc...).
C'est l'ONU qui a jadis décidé d'octroyer 55% du territoire à Israël (600 000 personnes à l'époque) alors même que les Palestiniens étaient trois fois plus nombreux (1 400 000), et qui a imposé le découpage de la « Terre Promise » sous cette forme. Ce sont les États-Unis qui, pour obtenir la majorité aux deux tiers (indispensable à la validation d'une résolution aux Nations Unies), ont exercé une pression gargantuesque - à la limite du chantage - à des pays tels que Haïti, le Libéria et même la France, afin de faire passer le texte. Et en disant tout ceci, je n'ai même pas encore précisé que quatre des cinq pays membres du Conseil de sécurité de l'ONU (États-Unis, Chine, Grande-Bretagne, France, Russie) sont en même temps dans le Top 5 des plus gros vendeurs d'armes de la planète !
Autant dire qu'en matière de règlement des conflits dans la paix et la démocratie, nous ne sommes peut-être pas à la bonne adresse (Et ce ne sont pas les Libyens qui diront le contraire). Maintenant, si vous y ajoutez le fait que ces hypocrites n'ont même pas eu la patience d'écouter la version des faits des nouveaux hommes forts du Niger - chose qui aurait pourtant pu permettre d'avoir enfin un débat de fond sur le dossier Bazoum -, on peut considérer que la boucle de l'inutilité est bouclée. Louise Aubin peut donc rentrer chez son papa chéri, car elle s'est avérée être une fiancée inutile.
RÉCIPROCITÉ... ET SAGESSE
L'autre raison de ce « chassement », c'est la décision prise cette semaine par les États-Unis de suspendre leur aide économique au Niger, d'environ 440 millions de dollars. La loi américaine dispose en effet que tout régime catégorisé par Washington comme « putschiste » doit être privé d'assistance financière. Bien entendu, il est inutile de vous préciser que cette règle volatile fonctionne selon les humeurs de l'Oncle Sam. Selon vos affinités avec Washington (comme avec Paris sur le cas Mahamat Déby), votre putsch vous sera plus ou moins pardonné. C'est le même type d'illogisme qu'on a observé quand ceux qui scandent les droits de l'homme au quotidien ont attribué la coupe du Monde 2022 au Qatar, pays outrageusement autoritaire où les ouvriers travaillent comme des esclaves.
Les Américains avaient pourtant jusqu'ici semblé jouer la carte de l'indifférence, en nommant même une nouvelle ambassadrice à Niamey, Kathleen FitzGibbon, en août dernier. Mais il faut croire que les larmes du petit Macron ont fini par trouver grâce aux yeux de Joe Biden, qui a fini par accepter de lui donner un (très léger) coup de pouce en termes de pression diplomatique.
Quoiqu'il en soit, le Niger a bien fait de répondre par la réciprocité, montrant ainsi aux maîtres de ce monde que l'Afrique aussi pouvait être très créative en matière de sanctions. D'autant plus que les trois quarts de ces « aides humanitaires » retournent toujours dans les poches des donateurs (dont elles financent les voyages, le logement, les séminaires et le salaire mensuel des agents), et que les principaux destinataires n'en perçoivent quasiment rien. « À quelque chose malheur est bon », dit le proverbe. On veut donc plutôt espérer que cette privation renforce l'esprit d'autonomie au Niger - et en Afrique par extension -, et anéantisse progressivement la mentalité de « mendiants » et « d'assistés » que fustigeait déjà Thomas Sankara il y a trois décennies.
Car si une aide peut paraître alléchante à court terme, elle génère sur le long terme une spirale de dépendance, qui vous condamne à la pauvreté éternelle (Toute l'Afrique francophone en est un exemple vivant !). Voilà pourquoi ces mesures de réciprocité doivent s'accompagner de grosses réformes internes dans les domaines de la production agricole, des sciences et techniques et des services, afin de générer un taux de croissance qui permettra de sortir pour de bon de la dépendance et du manque. Car ne nous y trompons pas : chasser des armées et des diplomates étrangers n'est qu'une infime étape vers l'autodétermination, mais ne saurait en aucun cas remplacer un projet politique.
EN BREF :
Dans un système démocratique, il y a deux façons de chasser un dirigeant démocratiquement élu : primo, en votant contre lui à la prochaine élection. Secundo, à travers une insurrection populaire, comme ce fut le cas en Ukraine en 2014 lors du soulèvement contre Viktor Janukowitsch (avec félicitations des Nations Unies). C'est cette deuxième méthode qu'on appelle le coup d'État révolutionnaire. Et si les Occidentaux l'ont eux-mêmes approuvé en Ukraine (ou contre Kadhafi qui, selon leurs propres dires, fut renversé par son propre peuple), il est absurde de les voir se plaindre du putsch nigérien. Et si vous me rétorquez ici que c'est l'armée qui a décidé à huis clos de déposer Bazoum, je vous réponds que dans ce cas de figure, c'est la réaction du peuple qui détermine si cela devient ou non un coup d'État révolutionnaire. Partant de là, dites-moi donc : Qu'avons-nous constaté dans les rues de Niamey après l'éviction de Bazoum ? D'ailleurs que constate-t-on depuis trois mois ?
Deuxième question : En 2015 au Burkina Faso, Gilbert Diendéré a tenté un coup d'État similaire à celui d'Ibrahim Traoré ; mais à votre avis, pourquoi se retrouve-t-ii aujourd'hui condamné à la prison à vie, tandis que Traoré est président ? Qu'est-ce qui fait la différence ?
En attendant d'y répondre, prions pour que tata Louise se trouve un nouveau mari.