Il y a quelques mois, l’opinion publique nationale et internationale s’était fait l’écho d’une nouvelle rentrée politique de l’ancien leader de l’Union des populations du Cameroun (UPC). L’octogénaire avait en effet fait parler de lui, lorsque devant les médias nationaux et internationaux il avait annoncé sa décision de rejoindre le Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC), parti politique d’opposition dont le Pr Maurice Kamto est le président national. Du coup, et certainement fort de l’expérience historique dont il est porteur, le commandant Kissamba a été fait conseiller spécial du président national du MRC.
Mais après seulement un trimestre de fonction et de militantisme au sein du MRC, les militants de ce parti politique d’opposition, qui s’est donné le challenge de battre le candidat du parti au pouvoir lors de l’élection présidentielle de 2018, entendent que le commandant Kissamba a décidé de démissionner. La lettre de démission qui a été envoyée le 12 novembre dernier de Lolodorf, village de Ngouo Woungly Massaga, met au jour quelques traits du caractère de son auteur.
On y voit un peu d’opportunisme politique, doublé de calculs mesquins. En réalité cela n’honore certainement pas le grand Commandant Kissamba d’avoir à se plaindre que Maurice Kamto ne l’ai pas reçu lors de son entrée au MRC. Ou encore que celui-ci, non seulement n’ai pas passé de coups de téléphone, soit disant pour le remercier pour le travail médiatique accompli, ou encore, que le parti ne lui ait pas offert des devises pour se rendre en France pour répondre à une invitation d’un forum de la diaspora.
Par cette attitude, il y a certainement un manque de dignité pour un homme politique, mieux un combattant de l’indépendance du Cameroun, dont la mémoire historique est fortement respectée. Ngouo Woungly Massaga, bien que vivant dans la dèche n’a pas besoin de s’abaisser pour autant. Intellectuel, il l’est. Docteur en mathématiques à l’époque où on en comptait que sur les doigts d’une main au Cameroun, il a une valeur intrinsèque, mais aussi une formation politique incontestable. On comprend mal que cet homme vénéré autrefois par les militants upécistes en soit aujourd’hui à développer ou manifester un militantisme politique alimentaire.
Retour perdant?
Bien des gens ont encore en mémoire le souvenir du retour au Cameroun au début des années 90 de ce vétéran de la lutte d’indépendance. Dans un communiqué resté mémorable, il avait alors annoncé son retour au pays, après plus de trente ans d’exil. Il y indiquait qu’il rentrait sur la terre de ses aïeux, juste pour aller vivre en paix dans les plantations de ses parents dans son village natal, à Lolodorf situé dans le département de l’Océan, région du Sud. Curieusement, une fois au Cameroun, il s’est laissé utiliser par le régime de Paul Biya. Accueil de grande personnalités et grandes hôtes. Puis installation à l’Hôtel des députés tous frais payés, avec véhicule et chauffeur.
L’homme qui était admiré pour son courage d’avoir osé combattre le régime Ahidjo était la curiosité de tous dès son retour à Yaoundé. Il recevait beaucoup et était énormément consulté. Même le redoutable Fochivé qu’il accusait d’avoir contribué à écraser sa famille pendant qu’il était en exil le visitait. En fait l’Hôtel des députés ne désemplissait pas. Ngouo Woungly Massaga de retour au Cameroun était un homme respecté et écouté, quand bien même ses camarades upécistes restés en exil contestaient à cet instant son patriotisme et le traitaient de traitre pour son ralliement.
C’est ainsi qu’il a pris part à la rencontre tripartite de novembre 1991 au Palais des congrès de Yaoundé. Il sera au centre de cette concertation, intervenant avec autorité et pertinence compte tenu de sa mémoire de combattant. Les jours passent, et le commandant Kissamba devient un homme incontournable dans le paysage politique libéré du début des années 90. Il retrouve son village Lolodorf et est accueilli à la fois comme un enfant prodige et un messie. Ceux qui entendaient parler de lui comme d’une merveilleuse, voulaient le toucher et l’écouter.
Ce qui n’était pas du gout des élites qui avaient déjà consolidé leurs places au sein du système dominant. En tout cas la brouille avec le régime Biya, son « bienfaiteur », est venue lors des législatives de mars 1992. Le commandant Kissamba qui avait constamment à ses côtés sa défunte épouse, avait entre-temps, dans l’ambiance de l’effervescence du retour au multipartisme créé un parti politique qui avait pour nom, Parti de solidarité du peuple (Psp). C’est l’instrument politique qu’il s’est donné pour conquérir un siège à l’Assemblée nationale. Il avait à ses côtés des jeunes upécistes frustrés des divisions du parti historique. C’est le cas entre autres du Dr Elouga Beng. En campagne électorale, le commandant Kissamba se montre pugnace politiquement.
Il fustige avec violence le RDPC, le parti au pouvoir dans la main duquel il mange pourtant depuis qu’il est de retour au pays natal. Ses adversaires du parti au pouvoir ne l’acceptent pas du tout. Il faut donc faire taire ce trouble-fête. Ou alors le rappeler immédiatement à la raison. Alors qu’il était en déplacement dans les zones reculées et difficiles d’accès de son département d’origine l’Océan, les tenants du pouvoir de Yaoundé envoient des émissaires lui retirer la voiture tout terrain mise à sa disposition lors de son arrivée. Tout comme l’allocation financière qui lui avait été attribuée lui est coupée immédiatement.
C’est alors que Ngouo Woungly Massaga qui s’était considérablement brouillé avec ses camarades de l’UPC se rend compte de la violence du système Biya. Il se retrouve seul avec son épouse et sans moyens. Comment faire ? Il commence par jouer les stoïques politiques. Mais pas pour longtemps. Il faut chercher des supports. Il va s’accrocher pendant un moment à Augustin-Frédéric Kodock qui, après l’élection présidentielle de 1992 est entré au gouvernement.
Il fallait bien vivre. Et ce camarade upéciste dont on connaissait l’opportunisme politique essayera de l’épauler financièrement de manière discrète d’abord, puis ouvertement. Jusqu’à ce qu’ils puissent mutuellement se fâcher l’un contre l’autre. Le commandant Kissamba va alors prendre ses distances par rapport à son « bienfaiteurs » pendant un temps. Et réapparait quelques années après en pleine séparation de « L’Âme immortelle du peuple camerounais ». Lors du congrès unitaire de l’Upc qui se tient au Palais des congrès de Yaoundé en début 1996, il réintègre le parti historique et se montre très virulent vis-à-vis d’Augustin-Frédéric Kodock.
Malheureusement, les upécistes fidèles conduits par Michel Ndoh et autres Samuel Mack-It et Moukoko Priso s’emparent du parti. Ngouo Woungly Massaga disparait quelque peu de la scène politique. Installé au quartier Dakar à Yaoundé, on n’entend parler de lui que dans des tribunes médiatiques. De temps à autre il construit des analyses pertinentes dans les médias sur des sujets politiques. La perte de sa femme, qui lui est restée fidèle aussi bien dans le maquis que dans la vie après l’exil sera un grand coup pour le vétéran.
De retour à Lolodorf, le commandant Kissamba est victime de la persécution des élites organiques proches du pouvoir. Sans ressources réelles et de plus en plus déclinant, il continue néanmoins à suivre l’actualité politique nationale et internationale. Ces temps derniers, il est resté une référence historique pour les étudiants en histoire et les jeunes politiciens et journalistes qui aiment bien le consulter. Son retour en politique a quelque peu effrayé.
Surtout lorsqu’on a appris qu’il va militer dans le MRC de Maurice Kamto, l’une des forces politiques que le pouvoir RDPC redoute le plus en ce moment. Mais la fin est celle qu’on connait aujourd’hui. Ngouo Woungly Massaga aura appris à ses détriments que pour manger avec le diable il faut se munir d’une longue fourchette.