Le propre de la routine est qu’elle installe en nous le manque de motivation, la lassitude. Au moment d’écrire sur le 39e anniversaire de l’accession de Paul Biya à la magistrature suprême, même le journaliste au moral d’acier ne résiste pas à l’ennui que procure cet exercice. Du coup, c’est en traînant les pieds qu’on y va, en imaginant l’alchimie qui permettrait d’être intéressant pour les lecteurs.
Nous sommes donc allés puiser dans l’inspiration de trois artistes musiciens, dont les chansons résistent au temps. Sans doute, on se plaît et on se plaira à réécouter leurs œuvres musicales. Il s’agit de Ngalle Jojo dans «essimo na rigueur», Ndedi Eyango « Patou » et Petit pays «peur dans la cité».
Au lendemain de l’avènement de Paul Biya à la présidence de la République, le 6 novembre 1982, Ngalle Jojo est, aux côtés des artistes tels que feue Anne Marie Nzié, l’un des créateurs dont les chansons ont magnifié le changement que le peuple camerounais respirait alors. A pleins poumons. Son titre culte «essimo na rigueur» est une ode au Renouveau et à son promoteur, Paul Biya.
L’artiste y scande, «rigueur, rigueur, rigueur» et rappelle que lorsque le champion du Rdpc accède au pouvoir, «on [le peuple] en avait assez». De qui ? Ahmadou Ahidjo, qui avait démissionné quelques mois plus tôt, après près d’un quart de siècle de règne. «Tout le Cameroun derrière Paul Biya, soutien total, avec Paul Biya, c’est la justice, Paul Biya synonyme de paix, Paul Biya synonyme de progrès », égrène le chanteur.
39 ans après, Ngalle Jojo peut-il redire la même chose au sujet du successeur d’Ahmadou Ahidjo ? Cette question nous (re)plonge au cœur du bilan des années Biya. Après 25 ans d’Ahidjo, si le peuple «en avait déjà assez», que pense ce même peuple de M. Biya, qui totalise 39 ans au pouvoir ?
Il eût été judicieux que Ngalle Jojo fît lui-même le bilan de Paul Biya, 39 ans après. Sans doute le cours des choses lui aurait inspiré une autre tonalité.
Comme la nature a horreur du vide, d’autres artistes sont vent debout. Ainsi de Ndedi Eyango qui, en 1989, fait sensation avec le titre « Patou ». La chanson dépeint en de mots simples les maux dont souffre la société camerounaise. « Patou ooh, je me fais trop de soucis, ah Patou Patou, nous avons beaucoup de problèmes, abat le tribalisme, abat la corruption et l’injustice sociale, y compris le manque de respect…, pourquoi tant de mépris auprès des usagers, dans les hôpitaux, dans les ministères, dans les commissariats, dans tous les services publics, règne la corruption, règne le tribalisme, règne le mépris, règne la négligence… Chez nous tout le monde est patron, qui est le planton ? Chacun se dit grand, qui est donc petit ? Chacun arrive à son heure, il fait ce qu’il veut, menace à son tour, travaille à sa guise, décide comme il veut, quel remue-ménage !… Innocent en prison, coupable en liberté iyooh, diplômés au chômage, illettrés au boulot iyooh…». Un visage sombre mais fidèle de notre société, qui n’a pas pris de ride.
Courant novembre 2016, Petit pays en rajoute une louche. Le titre « peur dans la cité » est fort embarrassant pour le régime, même si malicieusement Effata déclare qu’il n’indexe personne particulièrement. L’hommage aux victimes de l’accident d’Eséka survenu le 21 octobre 2016, fait le procès de Paul Biya et du système qu’il incarne : «Tout le monde est castré, tu as castré tout le monde. Tu as utilisé et détruit ton entourage pour régner seul… beaucoup d’innocents sont en prison, ça c’est la trahison… tu laisses la rébellion comme patrimoine… tu as opté pour la peur… pour un rien tout le monde a peur de toi… nul n’a le droit de se prendre pour Dieu, Dieu ne supporte pas cela…Tôt ou tard, tu vas payer», dégaine-t-il.
Samedi 6 novembre 2021, le Renouveau a célébré ses 39 ans. Au-delà des flonflons de cet anniversaire, une question s’impose : Comment réenchanter un peuple qu’on gouverne depuis 39 ans, avec des hauts, mais surtout des bas ? Là est le principal défi qui interpelle Paul Biya.
Au stade actuel, on peut faire l’hypothèse qu’au vu des crises qui s’enchaînent à un rythme effréné, crise économique, crise sécuritaire, crise sanitaire, des batailles féroces de succession dans son entourage et de l’usure du pouvoir, il sera très difficile à « l’homme du 6 novembre » de donner au Cameroun la direction qui dépendrait de sa seule vision originelle du pays. Il est même fort à parier que le chef de l’Etat sera désormais à l’image de ce plombier réduit à boucher les fuites d’eau, de manière cyclique, avec un relatif bonheur.