Depuis trois ans, la fille de l’ex-président a regagné le pays et milite dans le parti au pouvoir, aux côtés du président Paul Biya qu’elle appelle désormais «père».
Ce dernier fut pourtant le pire ennemi de son géniteur, feu le président Ahmadou Ahidjo, dont la dépouille demeure d’ailleurs en exil au Sénégal. Nommée à son premier poste en juillet dernier, Aminatou Ahidjo affirme qu’elle «trace sa route» et ne saurait être «esclave de rien, ni de personne, ni de la mémoire, ni de l’histoire».
Nous voilà fixé sur le discours politique et le militantisme d’Aminatou Ahidjo au sein du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc), le parti qui dirige le Cameroun. Au lendemain de sa nomination, le 29 juin, comme présidente du conseil d’administration du Palais des Congrès de Yaoundé, la fille de l’ex-président, Ahmadou Ahidjo, a pris la parole plusieurs fois durant le mois de juillet 2016, dans une communication bien orchestrée par le pouvoir. Il y a eu ces deux interviews accordées à la Crtv, l’office de radiotélévision public du Cameroun.
D’abord un premier entretien diffusé et rediffusé sur les antennes radio, et même repris par plusieurs organes de presse écrite. Puis, Aminatou Ahidjo a été reçue en posture d’invitée sur le prestigieux plateau de l’émission télé «Présidence actu» consacrée à l’actualité de la présidence de la République.
«Je soutiens le président Paul Biya parce que c’est un homme de paix, de sagesse; c’est un visionnaire, un pédagogue, un éducateur, un bâtisseur (…) C’est un grand humaniste parce qu’il a compris ma détresse, ma souffrance, mes angoisses.»
Les deux sorties médiatiques d’Aminatou Ahidjo viennent compléter sa déclaration faite à la presse le 7 septembre 2013, au sortir de l’audience historique avec le secrétaire général du comité central du Rdpc, Jean Nkuété. Autant de sorties dans l’espace public qui permettent de mieux saisir le positionnement de la fille cadette des enfants d’Ahidjo. Il est à noter que les Camerounais apprennent encore à connaître Aminatou Ahidjo, celle-là qu’ils n’avaient plus vu depuis au moins 30 ans, jusqu’à son retour d’exil en 2013. C’est un visage nouveau, car Aminatou avait tout juste 16 ans au moment de son départ. Aujourd’hui, c’est une femme de 50 ans qui s’adresse à ses compatriotes, assumant son alliance politique avec le Rdpc et le président Biya. Ses détracteurs comme ses défenseurs affirment qu’il s’agit en réalité d’un «mariage de raison et d’intérêt».
Allégeance au président Paul Biya
A écouter Aminatou Ahidjo, c’est un truisme de dire qu’elle est bel et bien rentrée dans les rangs du Rdpc. Elle a bien assimilé le discours structurant du parti au pouvoir : faire une allégeance totale, voire sacrificielle, à Paul Biya, le président national du Rdpc et chef de l’Etat. Morceaux choisis des derniers propos d’Aminatou Ahidjo : «Je soutiens son excellence M. le président Paul Biya parce que c’est un homme de paix, c’est un homme de sagesse, c’est un visionnaire, c’est un pédagogue, c’est un éducateur, c’est un bâtisseur (…) C’est un grand humaniste parce qu’il a compris ma détresse, ma souffrance, mes angoisses.» Le ministre Grégoire Owona, secrétaire général adjoint du comité central du Rdpc, fait bien de noter chez Aminatou Ahidjo un «un engagement et un attachement personnels». On se souvient alors que, parlant du président Paul Biya, elle assume la relation «d’une fille à son père» ; ajoutant même : «c’est une personne vers qui tout me ramène».
Aminatou se comporte en bonne militante qui sait témoigner sa gratitude à qui de droit : «Merci M. le président. Merci mille fois. Merci encore et encore. Merci de me faire confiance. Merci d’avoir accepté que je revienne au Cameroun. Merci d’avoir cru en moi». On apprend alors qu’elle avait besoin d’une autorisation pour rentrer dans son pays. Ses deux sœurs aînées et sa mère quant à elles demeurent au Sénégal. Or le président Biya a toujours dit qu’il ne s’oppose pas au retour de la famille Ahidjo au pays. Peu importe. Aminatou Ahidjo soutient que tout ce qui lui arrive relève du bon vouloir de ce nouveau «père». A l’évidence, elle a bien compris qu’il ne faut jamais laisser poindre la moindre velléité d’émancipation vis-à-vis du président de République. A propos de son poste de Pca, Aminatou affirme qu’elle n’a rien demandé, n’attendait rien, et se satisfait de sa nomination. Seuls les autres voient que c’est «rien du tout». Agée de 50 ans et considérée comme une jeune dans l’establishment, cette militante de base ne revendique aucune ambition. Seul Paul Biya sait ce qui est bon pour elle.
Le discours d’Aminatou Ahidjo fait penser à tant de personnes dans le Rdpc et au sein du gouvernement. Ses mentors et coaches seraient Issa Tchiroma Bakary, ministre de la Communication et originaire du nord comme elle, Foumane Akame, conseiller juridique à la présidence de la République, et Martin Belinga Eboutou, directeur du cabinet civil de la présidence de la République. Ce sont là des révélations contenues dans une lettre ouverte adressée à Aminatou en 2013 par deux de ses cousines installées au Cameroun. Celles-ci avertissaient leur sœur sur le fait qu’elle était en train de pactiser avec le «Diable».
Les biens confisqués de cette famille n’ont jamais été restitués. Ahmadou Ahidjo n’a toujours pas droit à des obsèques officielles, et sa dépouille demeure en exil dans un cimetière de Dakar au Sénégal.
Elles expliquaient alors que le Diable c’est bien Paul Biya à qui le président Ahidjo avait remis le pouvoir en 1982. L’actuel président est accusé d’avoir fait condamner à mort son prédécesseur, qui est le père d’Aminatou et de toute la nation camerounaise. Contraint à l’exil, Ahmadou Ahidjo avait été jugé et condamné à mort par contumace pour haute trahison, au lendemain du coup d’Etat manqué du 6 avril 1984. Jusqu’à sa mort en 1989, il n’avait plus jamais foulé le sol du pays dont il fut le tout premier président. Paul Biya est encore accusé de maintenir la disgrâce des Ahidjo jusqu’à nos jours, malgré la loi d’armistice de 1990. Les biens confisqués de cette famille n’ont jamais été restitués. Ahmadou Ahidjo n’a toujours pas droit à des obsèques officielles, et sa dépouille demeure en exil dans un cimetière de Dakar au Sénégal. Germaine, veuve du défunt président, et ses deux filles aînées (Fadimatou et Aïssatou), résident dans ce pays et continuent de ruminer leur rancœur vis-à-vis du président Biya.
Pardonner pour exister
Aminatou n’a certainement pas oublié l’histoire. A ses détracteurs, la cadette des enfants d’Ahidjo répond : «j’ai ma conscience, je sais ce que je fais, je sais ce qui se passe, je sais pourquoi je le fais, je suis une intellectuelle.». Aminatou ajoute qu’elle porte fièrement le nom «Ahidjo». Tout simplement, elle a pardonné.
A l’évidence, Aminatou est en rupture avec le cocon maternel. Elle l’assume, mais rejette l’idée d’une trahison. «Je crois qu’on n’est esclave de rien, ni de personne, ni de la mémoire, ni de l’histoire. Je trace ma route», martèle la benjamine de la famille. Aux autres, elle adresse cette leçon de vie : «le pardon est un maître si on veut être ses élèves pour la vie. Le pardon n’est pas hâtif. Il se fait par étapes successives. On a tendance à réduire le pardon à un fait ponctuel. Ça demande plutôt le courage d’aller chercher au fond de nous le coin où se cachent les ressentiments, d’essayer d’éclairer ces ressentiments et de les faire disparaître. Il y a trop de messages porteurs de vérité. C’est mon cas. Je ne désespère pas que d’autres me rejoignent.» Amina a fait le pas, comme son demi-frère, Mohamadou Badjika, l’avait fait avant elle. Il a été bien récompensé par le président Biya qui l’a nommé ambassadeur itinérant à la présidence de la République puis Pca de la Société hôtelière du Littoral (Sohli), entreprise publique qui gère le célèbre hôtel Sawa, un quatre étoiles dans la capitale économique.
Aminatou Ahidjo a donc suivi le chemin du pardon. Elle trace sa route au Cameroun et au sein du Rdpc. Le parti au pouvoir, quant à lui, n’a jamais dévoilé la stratégie derrière le recrutement en grande pompe d’une Ahidjo. Mais personne n’ignore qu’elle peut permettre au régime de Yaoundé de se réconcilier avec la frange des compatriotes meurtris par le passé douloureux autour du président Ahidjo. Surtout, Aminatou peut aussi servir à contrecarrer le discours vengeur et accusatoire de Germaine, la veuve d’Ahidjo, dont le seul nom reste un caillou dans la chaussure du régime. Mais ce ne sont que des conjectures, car la vérité viendra du terrain politique.
Aminatou peut aussi servir à contrecarrer le discours vengeur et accusatoire de Germaine, la veuve d’Ahidjo, dont le seul nom reste un caillou dans la chaussure du régime.
Jusqu’ici, le militantisme d’Aminatou s’est manifesté davantage par son discours d’allégeance à Paul Biya, des appels à la mobilisation générale derrière ce dernier, enfin des appels au travail et à la persévérance lancés en direction des jeunes. «Le militantisme n’est pas automatiquement le fait d’être toujours sur le terrain. Je me tiens au courant, j’écoute, je m’interroge, je réfléchis, j’anime de petites discussions avec ceux qui m’entourent, c’est déjà militer.» Voilà donc sa démarche actuelle ; hormis le fait qu’en 2013, elle avait participé à la campagne électorale du Rdpc pour les municipales et les législatives.
Et Grégoire Owona fait encore bien de préciser : «il appartient aux instances dirigeantes du parti et au président national de faire appel aux talents et aptitudes de Mme Ahidjo pour des missions qu’ils voudront bien lui confier. Elle a des talents et des atouts à mettre à la disposition de son parti.»