Politique of Thursday, 23 December 2021

Source: La Nouvelle Expression

Crise socio politique au Cameroun: sévère lettre de Bibou Nissack à Emmanuel Macron

Le Président Élu Maurice Kamto avait donc raison d’émettre des réserves sur ce 'Dialogue' Le Président Élu Maurice Kamto avait donc raison d’émettre des réserves sur ce 'Dialogue'

Le député anglais qui vient d’interpeller son gouvernement sur sa responsabilité dans la crise anglophone, rappelle les termes de cette correspondance que le porte-parole de Maurice Kamto a adressée au président français quant à la responsabilité de son pays dans les malheurs actuels du Cameroun.

Monsieur Macron.

Les mots présents ont été ciselés dans l’étoffe dure de la tumultueuse histoire commune Cameroun-France. Ils ne font donc pas dans la dentelle mais en l’occurrence dans le plus résistant des Denim. Aussi n’y aura-t-il ni faux semblants, ni faux fuyants dans cette missive d’un citoyen du monde à un autre.

Il est désormais de notoriété publique que la France fut historiquement au Cameroun, voire ailleurs, l’instigatrice de certains maux dont le corps social camerounais tout entier continue d’être hanté par le spectre. Au rang de ces fléaux, l’on peut sans risque de se tromper citer le tribalisme d’État, la fraude électorale, le problème anglophone et l’érection de la répression violente quasi systématique de toute contestation affichée aux tenants de l’autorité publique, indépendamment de la forme revêtue par la dite contestation (légitime, pacifique, modérée, radicale, violente…). Le travail patient de chercheurs et historiens renommés ou non est à cet égard sans appel, de Richard Joseph à Thomas Deltombe, Manuel Domergue, Jacob Tatsitsa, en passant par Achille Mbembé, Meredith Teretta et consort.

Ces manies servirent d’assortiment aux outils constitutifs du trousseau colonialiste Français tels qu’utilisés indûment au Cameroun alors que ce territoire bénéficiait d’un statut international dont l’administration avait été confiée partiellement à la France et au Royaume Uni de Grande Bretagne et d’Irlande du Nord, après dissection en deux entités de l’ex “Kamerun”, défunt protectorat Allemand, enterré avec la fin de la première guerre mondiale et la défaite allemande.

La formule consacrée pour formaliser l’administration française et celle anglaise fut le “Mandat” à l’ère de la Société Des Nations (SDN) et ensuite la ’’Tutelle” à l’avènement de l’organisation des Nations Unies (ONU). Il convient ici de relever que l’administration ici concédée à la France et au Royaume Uni se faisait au nom et pour le compte de la communauté internationale des États, de sorte qu’en droit les deux Camerouns (Cameroons) n’étaient nullement des colonies de l’empire colonial français ou de celui britannique.

Le Général De Gaulle ayant stratégiquement conçu d’abord l’ambitieux projet d’une “Union Française” et ensuite de la “Communauté” éponyme en tant que grand ensemble étatique devant constituer par agglomération autour de la métropole française les territoires coloniaux d’Afrique Équatoriale

Française (AEF) et d’Afrique Occidentale Française (AOF) notamment, et… le Cameroun sous administration française pour le compte de la Communauté Internationale des Etats. Cette volonté affirmée et défendue par De Gaulle, qui par ailleurs était en violation flagrante des termes du mandat et ensuite de la tutelle va de toutes les façons se heurter dans la pratique à l’adversité de l’Union des Populations du Cameroun(UPC), l’UPC originelle à ne pas confondre avec celle ou celles actuelle(s). En effet, ce mouvement politique national authentique œuvrait de toutes ses forces en faveur de la réunification du “Kamerun” et de son indépendance et donc en contradiction avec le projet de De Gaulle.

Ce dernier orchestra donc contre l’UPC une guerre sans merci, car il fallait éliminer l’UPC de la scène politique camerounaise et ne laisser sur cette scène que les seuls acteurs camerounais acquis, par docilité et servilité souvent volontaire mais surtout bridée par des contraintes’ multiformes, à la défense de la vision de De Gaulle et en opposition ’aux idées de Réunification et l’indépendance et pour l’éradication pure et simple de ceux, UPC en tête, qui en étaient les promoteurs.

Cette bataille ayant été menée en pure perte par le Général, et celui-ci confronté à l’inéluctabilité de l’avènement de l’indépendance et de la réunification camerounaises, le rusé Général changea de fusil d’épaule par opportunisme en vue de contrôler à tous les prix le scénario de l’indépendance et sa mise en coupe réglée entre les mains des fidèles relais locaux camerounais qui avaient pourtant chaudement combattus cette indépendance mais représentaient aux yeux de De Gaulle les perpétuateurs sûrs d’une indépendance de façade et vidée aussitôt de tout son contenu, avec la signature à huis-clos d’accords léonins qui accoucheront la coopération de la cellule africaine de l’Elysée, et… le néocolonialisme

Français qui sera baptisé plus tard de l’expression chère à Houphouet Boigny “La Françafrique”.

Les objets du Général De Gaulle seront atteints da| .3 la pratique grâce à la mise en œuvre par les administrateurs français au Cameroun d’une politique recourant ouvertement et explicitement à des passe-droits et des chausse-trapes. La lutte de l’UPC et la structuration de ses rangs étant nationalistes voire nationales, il fallut procéder à une ’’dénationalisation” par la tribalisation tous azimuts de la société camerounaise en vue de susciter des replis communautaristes permettant d’émietter l’UPC et faciliter son ciblage après affaiblissement massif.

Un certain Jacques Hubert s’illustra ici avec sa doctrine des “oppositions africaines” qui fit à merveille le jeu Français d’alors. Pour empêcher que le beau manteau que revêtaient entièrement l’UP’C et ses figures héroïques de proue d’une sublime légitimité, ne soit doublé d’une parure représentative formelle légale et électorale, le recours systématique aux fraudes électorales fut activé. Ainsi par ces fraudes il était fait d’une seule pierre deux coups.

On tenait loin du statut d’élus les upécistes et on favorisait l’élection d’acteurs anti-UPC et pro la vision gaullienne du destin du territoire camerounais non indépendant et à fortiori, non réunifié. Une fois les hommes-de-main du Général mis en situation de “recevoir” et “gérer” l’indépendance, et le moment venu la Réunification, les mêmes protagonistes Français s’en mêleront encore et encore pour en dévoyer le sens et la portée. Il suffit de se référer au témoignage de Jacques Rousseau sur la Conférence de Foumban en 1961 et la Constitution Camerounaise qui en a été l’émanation.

Il ne serait pas exagéré d’oser une formule du genre “accords de Foumban de 1961 définis et codifiés par la France |5our signatures camerounaises”, et “Constitution Fédérale Camerounaise sui generis codifiée par la France pour adoption et usage camerounais”. D’ailleurs sur l’annexion ou le projet assimilationniste, c’est selon, dont les populations anglophones firent l’objet, il est plus juste de le mettre en lien avec les visées hégémoniques et stratégiques françaises, plutôt qu’avec les populations du Cameroun sous administration française du temps du mandat et de la tutelle.

Qui plus est le scandale Français qui vit le jour avec l’affaire ELF et les “confessions” de son patron d’alors, Monsieur Loïc Leflok Prigent dans “l’express” en disent long sur les ressorts occultes de l’oppression féroce du régime illégitime de Yaoundé à l’encontre des Régions Nord-Ouest et Sud-Ouest. Le socle autour et sur la base duquel se sédimentèrent ces “politiques” de tribalisation, de fraudes électorales et les manipulations identitaires pernicieuses

(anglophones/francophones), fut l’instauration d’un système de répression impitoyable et implacable centré en premier lieu sur la police, l’armée et les services de renseignements français recourant souvent aux supplétifs multinationaux constituant les troupes, le tout articulé par l’autorité administrative Française au sommet ; cette répression sous direction Française réussit durablement à se pérenniser par la ruse d’accords inégaux Cameroun-France permettant notamment à l’armée Française de poursuivre ce que des bouches autorisées qualifient “d’opérations de guerre” au prétexte du maintien ou de la restauration de l’ordre au Cameroun… indépendant par le recours à la DGR (Doctrine de la Guerre Révolutionnaire).

Et voici donc brossée sans prétendre à l’exhaustivité la source fondamentale des démons qui minent le Cameroun et qui expliquent son addiction et sa dépendance aux sempiternels vices que sont le tribalisme, les fraudes électorales, le problème anglophone et l’usage institutionnalisé de la répression violente et armée contre la dissidence intellectuelle et politique légitime et républicaine entre autres maux.

C’est ici monsieur Macron que j’accuse la France institutionnelle d’avoir une responsabilité première dans l’inoculation de ces “maladies” au Cameroun volontairement et consciemment. Nul doute que le peuple de France serait passablement outré et choqué si le bilan humain et matériel de cet état de fait ne serait-ce que ébauché vaguement.

En effet, même si mai 68 a sonné le glas ultime de la Présidence De Gaulle, le mal était fait, et la greffe visant à pérenniser ses effets au sein de la Françafrique était bien fichée et offrait à la vue de superbes bourgeons dont les régimes Français consécutifs ne se priveront pas d’assurer sinon la croissance, du moins le maintien et la sauvegarde de ce système prédateur. Les régimes consécutifs Camerounais non plus ne se privèrent de la pleine jouissance de cette superstructure dont ils étaient en fait les héritiers et légataires directs.

Jusqu’à nos jours et toutes proportions gardées, à quelques rares exceptions prêt, si l’on élargit la réflexion à l’ensemble du “pré carré Français”, cette donne reste largement en vigueur. Le discours de la Baule a certes marqué un tournant, mais nombre de régimes à l’image de celui Camerounais ont su négocier ce virage astucieusement en parvenant à se mettre à l’abri des contre-coups du vent d’Est, et ainsi assurer leur survie et leur pérerinisation souvent en recourant à la superstructure françafricaine… Un comble !

Il est donc aisé de constater comme démontré plus haut, que les principales facettes du problème Camerounais procèdent en réalité d’une onde de réfraction, un réfléchissement des facettes d’un problème Français. À vrai dire et si l’on adopte une posture objective à cet égard, le problème Camerounais aujourd’hui est un problème Français faisant ainsi de cette dernière, sans mauvais jeu de mots, la première de cordée entre les mains de qui la décision de mettre sur pied une instance bilatérale Cameroun-France vérité, justice et réconciliation incombe.

En outre vous avez pour vous d’être d’une génération, la même que la mienne, qui échappe aux fourches caudines du complexe du colonisateur ou du colonisé, et qui par conséquent peut poser les jalons de cette nouvelle ère Camerouno-française. Le temps est peut-être venu pour que le Cameroun et la France procèdent à cette catharsis commune salutaire et indispensable à la sauvegarde et à l’assainissement de cette relation historique.

Tirée de l’enseignement de Nelson Mandela en Afrique du Sud, l’idée de cette instance bilatérale Cameroun-France et ses motivations valent en fait pour chacun des États du “Précarré” individuellement pris dans le cadre de sa relation avec la France. Somme toute il est logique que le Cameroun ayant constitué le premier laboratoire grandeur nature de la Françafrique avant l’exportation du résultat, dans le reste du précarré, que ce Pays soit également le pionnier de l’assainissement et de la normalisation salvatrice du lien Cameroun-France et ainsi de suite avec chacun des autres pays concernés pour des relations enfin pleinement et véritablement amicales, voire fraternelles.

Permettez-moi maintenant de vous donner quelques nouvelles au plan interne Camerouno-Camerounais. Le peuple Camerounais et ses défenseurs sincères sont entrés en résistance dans le but de concrétiser son aspiration à la paix, la justice, et la liberté via le règlement de la crise dans les Régions Nord-ouest et Sud-ouest du Cameroun et la réforme du système électoral, entre autres.

Le cas échéant il entend demander le départ, par sa démission volontaire, du régime en place depuis son sommet à la légitimité inexistante, de toutes les façons pacifiques et non violentes imaginables et tolérées par la Constitution Camerounaise, car il est proprement incompréhensible à l’entendement de tout patriote Camerounais que le contexte ambiant donne lieu à des élections régionales dont on sait d’office les résultats biaisés mais surtout dont on sait qu’elles ne contribueront pas à l’apaisement du conflit dans les Régions Nord-Ouest et Sud-Ouest (NOSO).

Le caractère biaisé résidant pour l’essentiel dans l’iniquité de la composition du corps électoral et des règles électorales applicables qui de façon arbitraire vont structurer les Régions à l’avantage quasi exclusif de ceux qui ont déjà en fait donné au Parlement Camerounais une coloration monopartiste de fait eu égard au critère relatif aux coupes parlementaires, sans préjudice de la crise postélectorale née des résultats truqués de l’élection présidentielle de 2018 et de leur contestation non violente et pacifique. La boulimie du pouvoir absolu et intégral semble fermer à tout entendement raisonnable discuté et négocié, le régime de Yaoundé.

Aussi poursuit-il sa fuite en avant dans le refus d’un véritable dialogue national inclusif, et ceci malgré le retentissant échec de son “Grand Dialogue National” dont il avait consciemment biaisé la base dès le départ, en en faisant subtilement un monologue du régime avec lui-même au grand dam des personnes et personnalités camerounaises qui de bonne foi avaient adhérées a ce qui s’est avéré être une supercherie hélas! Le Président Élu Maurice Kamto avait donc raison d’émettre des réserves sur ce “Dialogue”.

Si la tendance modérée et pacifique anglophone a certes été balayée dans un violent bain de sang et des simulacres de procès “anti-terroristes”, un espoir cependant d’éviter au Cameroun le pire subsiste grâce à la dynamique énoncée plus haut dans une logique intégrant la société civile camerounaise et des partis politiques ayant accepté de fédérer leurs efforts dans une approche commune et concertée il y a peu.

Pour autant qu’aucune ingérence extérieure ne vienne fausser la donne des efforts du peuple Camerounais, en renforçant ou occultant les réflexes de violence arbitraire du régime, on peut espérer que le génie camerounais donne à voir le meilleur de ce peuple déterminé. Et puisque le sujet .est ici abordé, une question me vient à l’esprit monsieur Macron, du peuple Camerounais et des acteurs politiques en compétition pour remporter sa faveur, serez-vous en rupture avec les usages françafricains séculiers ?

Autrement-dit du peuple serez-vous le partisan à l’exclusion de tout parti-pris arbitraire pour une chapelle politique quelconque au détriment du peuple et des autres chapelles politiques ? Avant de répondre à cette question monsieur Macron songez que les irrédentismes corses ou alors ceux basques ne se sont pas réglés en mettant à feu et à sang les régions concernées, il pourrait en être de même pour le NOSO.

De même monsieur Macron souvenez-vous que la première capitale de la “France Libre” durant la deuxième guerre mondiale fut Douala et que c’est du Cameroun que l’humanisme et la générosité du peuple Camerounais se traduisirent par des enrôlements massifs “volontaires” de milliers de Camerounais engagés militairement pour aller sauver la France des griffes du nazisme. La deuxième division blindée de celui qui deviendra le mythique Général Leclerc en tirera la matière pour ses campagnes victorieuses. Conformément à l’adage, il est de cette dette comme toutes les autres, en la payant la France s’enrichira et restera En marche.

Fait à Yaoundé ce mois d’Octobre 2020.

Bibou Nissack Patriote Camerounais et panafricaniste Fier prisonnier politique interné pour mes opinions et surtout ma loyauté à mon leader et mentor le Président Élu Maurice Kamto


NB : pour les non amoureux de lecture, faites un effort spécial de tout lire et vous allez aimer.