Actualités Régionales of Wednesday, 17 November 2021

Source: Kalara

Bertoua : 243 millions d’émoluments disparus dans la poche du greffier

Cette affaire a été déclenchée par un collectif de greffiers Cette affaire a été déclenchée par un collectif de greffiers

L’ancien chef du greffe du TPI de Bertoua est traduit devant le TCS pour de supposées irrégularités décelées dans sa gestion des fonds des émoluments de la juridiction dont il avait la charge. Cette affaire a été déclenchée par un collectif de greffiers.

Avec ses 70 ans balais environ au dos, Marc Félicien Medjous Mpande est loin de jouir d’une retraite paisible. Depuis près de deux ans, l’ancien greffier est placé en détention provisoire à la prison centrale de Yaoundé.

Le ministère public et l’État du Cameroun lui imputent de supposées irrégularités financières et comptables décelées dans sa gestion à l’époque où il assurait les fonctions de greffier en chef du Tribunal de première instance (TPI) de Bertoua, dans le ressort de la Cour d’appel de l’Est On lui fait le reproche de s’être fait payer 9 états d’émoluments d’une somme totale de 243,2 millions de francs en empochant autant de fois les fonds perçus du Trésor public. Les faits incriminés remontent dans les années 1990.

Pour enfoncer M. Medjous Mpande, l’accusation a fait entendre deux de ses anciens collègues devant le Tribunal criminel spécial (TCS) le 10 novembre dernier. Il s’agit de Jacques Mekok, ancien greffier en chef du TGI du Lom et Djerem et M. Moalonde Moabnde, ancien chef section pénale du TPI de Bertoua. Pendant son témoignage, M. Mekok a plusieurs fois répété qu’il fait partie des victimes des agissements incriminés.

Nommé greffier en chef du TGI du Lom et Djerem en 1990, M. Medjous Mpande a été promu dans les fonctions semblables au TPI de Bertoua trois ans plus tard II précise que les émoluments sont une sorte de prime de rendement que se partagent les personnels en service dans les juridictions : magistrats, greffiers et agents d’appui, selon un pourcentage fixé par les textes.

Mise en demeure

Ces précisions entendues, M. Mekok raconte, sans se souvenir de la date, qu’il avait remis à l’accusé un état d’émolument de sa juridiction d’un montant de 5,3 millions de francs parce qu’il avait des difficultés à obtenir le paiement à cause des «tensions de trésorerie» dans les perceptions des finances de Bertoua. «J’ai remis procuration à M. Medjous Mpande pour aller toucher mes émoluments afin que je puisse faire b répartition comme il revient au greffier en chef», déclare-t-il En fait, M. Medjous disait avoir de parfaites relations avec certains fonctionnaires des Finances. C’est ainsi qu’ils se sont tous les deux rendus dans un premier temps à la perception des Finances de Limbe.

«Il est entré au bureau du trésorier avec ses états et mon état. Ils ont fait trois heures de temps. Je suis resté dans b salle d’attente. Il m’a dit en ressortant que le trésorier n’a pas payé parce qu’il n’y avait pas suffisamment d’argent», confie M. Mekok précisant qu’après cette étape, les états d’émoluments allégués ont été introduits auprès de l’agent comptable de l’Université de Yaoundé 1 puis à la sous-préfecture de Dimako.

Sans succès. En tout cas, M. Medjous Mpande l’informait chaque fois qu’il n’a pas pu obtenu les paiements sollicités. Selon les explications données par M. Mekok, c’est le greffier en chef qui «confectionne» les états d’émolument qu’il soumet au chef du parquet près la juridiction dans laquelle il est en poste.

Ce dernier prend ensuite des réquisitions dans lesquelles il demande au président de la juridiction de signer une ordonnance autorisant de payer ledit état Après ces étapes, le document passe par les services des impôts pour le prélèvement des taxes. Une fois les taxes prélevées, la mention «vu bon à payer» est apposée sur l’état d’émolument. Une quittance est alors délivrée au greffier en chef sur la base de laquelle il peut obtenir paiement dans n’importe quel service du Trésor.

M. Mekok affirme qu’il n’a plus jamais revu son état d’émolument Une situation qui lui a causé d’importants préjudices. En effet, le ministre de la Justice, informé de l’affaire, lui avait adressé une «mise en demeure» exigeant qu’il procède au paiement des émoluments de sa juridiction dans les huit jours à compter de la notification. «Je me suis endetté. J’ai payé cet argent sur procès-verbal dressé par le procureur de la République qui a notifié son accord à la chancellerie», dit-il précisant qu’on l’a ensuite limogé. M. Mekok, qui soutient mordicus que son ancien collègue l’a floué, s’est joint au collectif des greffiers qui a porté plainte contre M. Medjous.

Gestion opaque

«Pouvez-vous présenter h preuve de l’effectivité du paiement de ces émoluments ?», demande l’avocat de l’accusé. «Je ne peux pas. Pendant l’examen de l’affaire au TGI du Lom et Djerem, M. Medjous Mpande a fait des aveux renversants où il a parlé du processus de paiement par fractionnement. Il a cité les noms des facilitateurs avec qui il traitait», répond l’accusé.

M. Moalonde Moalonde, le second témoin, qui dit avoir passé toute sa carrière de fonctionnaire au greffe du TPI de Bertoua de 1978 à 1997, explique que la gestion des émoluments par l’accusé était opaque. Ce dernier refusait de leur remettre les registres à base desquels il calculait ladite prime. Une attitude qui a mis le feu aux poudres. «On est passé à la vitesse supérieure en saisissant le ministre de la Justice, qui a dépêché une équipe de vérification pour faire la lumière. Pendant les vérifications, M. Medjous a pris la poudre d’escampette», déclare-t-il

«Comment savez-vous que M. Medjous a perçu l’argent des émoluments ?», demande le ministère public. Le témoin explique que lorsque l’accusé a été affecté dans la juridiction, il a trouvé deux états d’émoluments en instance de paiement dressés par son prédécesseur. C’est ce dernier qui leur a révélé que l’accusé lui a envoyé 150 mille francs. «Je continue de réclamer le paiement de mes quotes-parts», a-t-il précisé.

Selon les témoins, ce dossier a déjà fait l’objet d’un examen judiciaire devant le Tribunal de grande instance (TGI) du Lom et Djerem puis devant la Cour d’appel de l’Est, suite à une dénonciation d’un «collectif de greffiers» qui accusait M. Medjous Mpande d’«abus de confiance aggravée» au sujet des émoluments querellés. L’affaire est renvoyée ce 18 novembre pour les réquisitions intermédiaires du ministère public