L’hypothèse d’une année blanche est difficile à envisager en contexte camerounais, au regard de son organisation pédagogique.
Deux semaines après la levée officielle du mot d’ordre de grève, les syndicats d’enseignants anglophones sont en train de se mordre les doigts. S’ils ne voulaient pas se discréditer auprès d’un gouvernement avec lequel ils ont mené des négociations infructueuses pendant plusieurs semaines et qui les trouvaient « extrémistes », la démonstration est faite qu’ils n’ont servi que de prétexte à l’expression d’un mécontentement dont les ramifications se trouvaient très loin des campus scolaires. Le 19 janvier 2017 déjà, suite à l’arrestation de ses leaders et l’interdiction du Consortium par le Minatd, étudiants et élèves n’avaient pas repris le chemin de l’école.
Tandis que Jacques Fame Ndongo attendait que les recteurs prennent leurs responsabilités, Jean Ernest Massena Ngalle Bibehe instruisait les délégués régionaux des Enseignements secondaires des zones concernées de « tout mettre en œuvre pour la reprise effective des cours dans tous les établissements scolaires publics et privés de (leurs) circonscriptions de compétence le lundi, 23 janvier 2017 ». A l’occasion, il demandait « d’utiliser tous les canaux nécessaires pour communiquer avec les parents d’élèves ainsi que les élèves eux-mêmes de ce que des mesures de sécurité seront prises par les Autorités de (ces) régions respectives pour protéger les enseignants, les apprenants et le personnel administratif lors de ce retour en classe ». Il s’est lui-même lancé sur le terrain pour sensibiliser, pour un résultat discutable.
A ce jour, les écoles, lycées et collèges restent fermés et à ce qu’il paraît, pour longtemps encore. En attendant l’alchimie qui va rouvrir les écoles, la polémique refait jour sur les possibilités d’une année blanche dans la région anglophone du Cameroun. En effet, les indicateurs ne sont plus loin du rouge. Dans la mise en œuvre de l’instruction ministérielle, les délégués régionaux avaient imaginé un calendrier de rattrapage du temps perdu : la reprogrammation de la journée de cours qui irait de 7h30 à 17h, des cours le samedi et pendant les congés de Pâques.
La bonne intention a échoué. Et les experts des questions d’enseignement expliquent qu’il sera difficile de sauver les meubles. Alors « année blanche » ? La terminologie renvoie selon les normes de l’Organisation des Nations-unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco) à des enseignements et activités annexes entièrement ou partiellement invalidés. Ainsi une année scolaire ou universitaire peut être blanche à cause du non-respect de sa durée, l’accréditation, la mise en œuvre physique et psychologique, le profil des enseignants et des apprenants.
Cela est arrivé lorsque pour certaines raisons, comme les grèves, le volume horaire requis (25 semaines de cours par an en moyenne) n’est pas atteint. « L’Unesco ne déclare l’année blanche dans aucun pays», se vantent désormais nos officiels, après le démenti formel d’un haut cadre de l’institution onusienne en charge des questions d’éducation. Comme ce fut le cas au Bénin en 2014 et le Gabon l’année d’après, il appartient à chaque gouvernement de voir si les conditions du déroulement de l’année scolaire satisfont aux critères qui fondent la collation et le respect des diplômes au niveau international. Au Cameroun, l’année scolaire est organisé en 6 séquences autour de 44 semaines, dont 4 pour les congés et 4 pour les examens certificatifs.
Contrairement aux pays voisins où le découpage est fonction des ordres et des filières, notamment en respectant la spécificité des lycées agricoles et technologiques, le calendrier scolaire est unique. L’arrêté ministériel qui fixe son découpage est d’ailleurs conjointement signé par les ministres en charge des Enseignements secondaires et de l’Education de base.
L’exception camerounaise
Selon les experts, l’année blanche est difficile à envisager dans le contexte camerounais actuel. Bien que le débrayage concerne le sous-système anglophone et qu’il est parfaitement suivi sur le terrain dans les régions qui pratiquent cette langue, les grévistes sont desservis par la multiplication au cours de ces dernières années, des lycées bilingues dans le Cameroun francophone. Une tendance se fait même jour dans l’« Anglophonie », pour dénoncer l’invasion de leur système par de nombreux jeunes francophones, qui y réussissent.
Par ailleurs, le mouvement de protestation est intervenu alors que les candidats au General certificate of education, comme les années d’avant, achevaient les inscriptions auprès du Gce Board. « Il n’y aura pas deux examens différents selon la zone d’appartenance des candidats », n’a cessé de clamer le gouvernement lors des négociations. Pendant que les élèves du Nord-Ouest et du Sud-Ouest ne font pas cours, leurs homologues des huit autres régions le font et parfois dans de très bonnes conditions.
Par solidarité, des enseignants anglophones de la zone francophone ont menacé d’arrêter pour ne pas pénaliser leurs enfants mais n’avaient pas d’arguments. Ils ont même laissé penser à leurs élèves qu’il ne sert à rien de continuer, parce qu’il y aura année blanche. Mais ils continuent d’enseigner. « Quand on voit le temps de grève observé et connaissant un peu les enseignants, il y a encore de l’espoir. Certains iront au cours s’il le faut les weekends.
On peut donc imaginer des schémas de rattrapage à deux niveaux : par rapport aux classes d’examens et par rapport aux apprenants qui sont dans les classes intermédiaires. Ce ne sont pas les mêmes réalités », projette néanmoins un inspecteur de pédagogie. A défaut des prolongations, il faut alors ramener les enfants en classe.