Ruben Um Nyobè, surnommé « Mpodol » (« celui qui porte la parole des siens », en bassa), c'est-à-dire le « porte-parole », est un dirigeant camerounais et première personnalité politique à revendiquer l'indépendance de son pays, le Cameroun, en Afrique francophone, et l'unification des parties orientale (sous tutelle française) et occidentale (sous tutelle anglaise).
D'ethnie bassa, il est né le 10 avril 1913, à Eog Makon, et mort assassiné, par l'armée française le 13 septembre 1958, à Libelingoï, près de Boumnyébel (actuel département du Nyong-et-Kéllé, région du Centre), alors qu'il menait une rébellion armée. Um Nyobè est la figure de proue de la lutte pour l'indépendance du Cameroun. Ses compagnons furent notamment Félix-Roland Moumié et Ernest Ouandié. Jusque dans les années 1990, toute évocation de Ruben Um Nyobè était interdite. La loi camerounaise n° 91/022 du 16 décembre 1991 le réhabilitera, celui-ci ayant « œuvré pour la naissance du sentiment national, l'indépendance ou la construction du pays, le rayonnement de son histoire ou de sa culture». Aux termes de l'article 2 de la loi précitée, « la réhabilitation (...) a pour effet de dissiper tout préjugé négatif qui entourait toute référence à ces personnes, notamment en ce qui concerne leurs noms, biographies, effigies, portraits, la dénomination des rues, monuments ou édifices publics ». Um Nyobè est scolarisé dans les écoles presbytériennes de la partie du pays occupé par la France. Il fait partie de la minorité d'indigènes ayant accès à cette scolarisation. Par la suite, il est promu fonctionnaire, d'abord dans le domaine des finances, puis dans l'administration judiciaire. Marié à Marthe Françoise Ngo Mayack, Badjôb, en 1944, Um Nyobè s'en serait séparé pour prendre le maquis en 1955. Sa compagne de clandestinité est, jusqu'à sa mort, Marie Ngo Njock Yébga, de laquelle il eut un fils, Daniel, né le 25 avril 1957 dans le maquis. Polyglotte, il parle le français, le bassa, le bulu, et le douala.
Il devient fonctionnaire et s’intéresse assez tôt à la politique. Il s’engage à la fin des années 1930 dans la Jeunesse camerounaise française (JeuCaFra), une organisation mise sur pied par l’administration française pour contrecarrer la propagande nazie, avant de prendre part, à la fin de la seconde guerre mondiale, au Cercle d’études marxistes, lancé à Yaoundé par l'instituteur et syndicaliste français Gaston Donnat qui allait devenir une véritable pépinière du nationalisme camerounais. L'association se propose de lutter dans un même élan contre « le nazisme, le racisme et le colonialisme ». Pour lui, c’est un tournant : « C'est la première fois que je m'assois à la table d'un Blanc : je considère cela comme un grand événement au Cameroun. Je ne l’oublierai pas. »
Um Nyobè rejoint également l'Union des syndicats confédérés du Cameroun (USCC), soutenue par la CGT. Toutefois, dans les colonies, les revendications syndicales se mêlent inévitablement à la question du colonialisme ; les syndicats militent pour l'égalité salariale entre travailleurs blancs et indigènes, pour la fin des discriminations dans les promotions et finalement contre les relations d'autorité entre l’administration française et les populations camerounaises. En mai 1945, le Cercle d'études marxistes (devenu "Cercles d'études sociales et syndicales") s'oriente vers la création d'un « mouvement national camerounais avec comme objectif l'indépendance ». Rapidement, deux évènements accélèrent le développement d'un sentiment nationaliste et anticolonial.
En septembre 1945, à Douala, des colons ouvrent le feu sur une manifestation de grévistes la faisant dégénérer en émeute. Les affrontements s'étendent et un avion sera même utilisé pour mitrailler les émeutiers. Officiellement, selon les autorités coloniales, le bilan serait de 8 morts et 20 blessés, mais selon l'historien Richard Joseph, ce bilan serait très inférieur à la réalité et les morts se compteraient en dizaines. La répression qui s'ensuit contre l'USCC et ses dirigeants conduit une nouvelle génération de militants à en assumer la direction. Ruben Um Nyobè devient secrétaire général du syndicat en 1947.
Le second évènement majeur est la création du Rassemblement démocratique africain. Um Nyobè est présent à Bamako en septembre 1946 pour le premier congrès du parti en tant que représentant de l'USCC. De retour au Cameroun, il travaille à la création d'un parti camerounais suivant cette dynamique; qui aboutit à la fondation de l'Union des populations du Cameroun (UPC) par des syndicalistes de l'USCC, la nuit du 10 avril 1948 dans un café-bar de Douala. S'il n'est pas présent lors de la fondation, il en est néanmoins propulsé à la tête au mois de novembre 1948, suite au désistement de Léopold Moumé Etia qui a refusé de prendre la tête du Parti et a proposé son nom.
Ruben Um Nyobè fut abattu par l'armée française le 13 septembre 1958 dans la forêt où il se cachait, après que les troupes coloniales françaises l'eurent localisé, grâce à des indiscrétions de quelques « ralliés ». Après de longs mois de traque contre ses partisans, tous tués ou capturés les uns après les autres, son campement fut localisé début septembre 1958 par le capitaine Agostini, officier des renseignements et par Georges Conan, inspecteur de la sûreté. Um Nyobè fut abattu de plusieurs balles, tombant sur le bord d'un tronc d'arbre qu'il s'efforçait d'enjamber ; c'était près de son village natal, Boumnyebel, dans le département du Nyong-et-Kéllé dans une zone occupée par l'ethnie Bassa dont il était par ailleurs natif.
Après l'avoir tué, les militaires traînèrent son cadavre dans la boue, jusqu'au village Liyong. Cela le défigura, sa peau, sa tête et son visage étant profondément déchirés. En travestissant à ce point sa dépouille, la force coloniale voulut « détruire l'individualité de son corps et le ramener à la masse informe et méconnaissable » écrit l’historien camerounais Achille Mbembe. C'est dans le même esprit, poursuit-il, qu'« on ne lui accorda qu'une tombe anonyme ». Aucune épitaphe, aucun signalement particulier n'y furent inscrits. Les autorités coloniales le firent enterrer sans cérémonie, coulé dans un bloc massif de béton. Pour Charles Okala, ancien ministre et leader politique, qui s´est confié à Abel Eyinga trois années après la mort de Um Nyobè, « la décision de procéder à l'élimination physique de Ruben Um Nyobè avait été prise [en la présence de M. Okala] dans la ville de Batschenga, au cours d´une réunion à trois, Ahmadou Ahidjo, Moussa Yaya Sarkifada et lui, Charles Okala. »Le rapport de la Sureté indique que « Tous les habitants étaient absolument consternés. A Eséka, la tristesse se lisait sur la plupart des visages. »
Depuis le 22 juin 2007, un monument à sa mémoire a été érigé au carrefour Abbé Nicolas Ntamack à Eséka. Le monument, conçu par le lieutenant-colonel Maurice Teguel, architecte, fut réalisé par Jacques Mpeck Tedga. Il est constitué d’une statue de 6 m de hauteur, placée sur un socle de 5 m pesant 20 tonnes dans un jardin public de 400 m². Ce monument représente l’arrivée de Ruben Um Nyobè à la gare d’Eséka en 1952 alors qu’il revient d’un sommet de l’ONU. Le 8 mars 2019, le chanteur camerounais Blick Bassy sort son album "1958" en mémoire à Um Nyobé.