Actualités of Monday, 13 February 2023

Source: Le Messager du 13-02-23

13 Février 1933 - 13 Février 2023 : Les neuf vies de l'immortel Paul Biya

Né le 13 février 1933, le chef de l’Etat camerounais célèbre ce jour son 90ème anniversaire. Le chantre du Renouveau national a pris la relève après Ahmadou Ahidjo le 6 novembre 1982. 40 ans plus tard, il est toujours en poste, présenté aujourd’hui comme le plus vieux chef d’Etat au monde issu des urnes sans discontinuer. C’est désormais inscrit dans les l ivres de record Guinness. Qu’est ce qui explique une telle longévité ? Voici neuf indices qui jettent un brin de lumière sur cette longévité.

1-Paul Biya, un homme discret.

Nombreux des citoyens de Paul Biya ne savent grand ’chose de sa vie. Il est avare en apparition publique et en discours, un peu comme s’il voulait dire à ses concitoyens de vivre leur vie sans tenir compte de lui. On sait qu’il communique deux fois par an (le 10 février et le 31 décembre), tout comme il est présent au Boulevard du 20 mai de chaque année, à la cérémonie de présentation des voeux au palais de l’Unité ou la réception au soir du 20 mai. Pour l’essentiel, ses sorties et apparitions publiques sont réglées comme des notes sur un papier de musique. On sait aussi qu’il se rend régulièrement dans son village natal à Mvomeka’a et tout s’arrête là. Comme il y a longtemps, on n’a pas vu Paul Biya dans les bains de foule. A-t-il d’ailleurs un seul jour aimé cette vie extravagante où tout est fait pour qu’il soit toujours en première page, à la première ligne, sur les panneaux publicitaires en dehors des périodes électorales comme on le voit dans beaucoup de pays africains ? On constate qu’il fuit soigneusement les médias, s’y présentant juste pour des rituels républicains. En public, on ne l’a jamais vu esquissé les pas de danse comme d’autres chefs d’Etat africain le font ailleurs. En ce qui concerne sa vie familiale ou de couple, elle est tout autant nimbée de discrétion. On se souvient d’une de ses photos où il était assis, embrassé par son épouse Chantal. Son attitude sur la photo exprimait une certaine gêne, et disait par ailleurs assez long sur l’influence du séminaire sur l’homme. On va ajouter qu’à cette discrétion vient s’ajouter le fait qu’on ne l’a pas encore vu au deuil de ses collaborateurs. Une autre marque de discrétion ?

2-Jouissance détachée du pouvoir

C’est un homme assurément qui aime le pouvoir mais le vit au quotidien avec un grand détachement vis-à-vis de la jouissance. Le monde entier a été stupéfait de constater dans l’opération de la chasse aux biens mal acquis des dirigeants africains logés dans les paradis fiscaux et en Europe au début des années 2000 suite aux frappes des Twins tours de Wall Streets Center, Paul Biya n’ait ni comptes bancaires ni bien immobiliers en Europe. Une curiosité en Afrique centrale à cette époque où ses homologues étaient empêtrés jusqu’au cou. L’autre fait et non des moindres est qu’il a officiellement toujours tenu sa famille hors des pièges des lucres du pouvoir. Ainsi, aucun de ses enfants n’occupent un poste ministériel ou ne dirige un établissement public. Ali Bongo Ondimba, Faure Gnassingbé Eyadema, les fils de leur père, était chacun avant l’arrivée en poste, ministre avant le décès d’Omar Bongo Ondimba ou Etienne Gnassingbé Eyadema. Toutefois, ce tableau idyllique est entaché par un détournement massif des deniers publics par ses collaborateurs au cours des mandats successifs. Comment expliquer que le président de la République mène une vie propre et probe alors qu’autour de lui, les cadres de l’Etat continuent de se laisser aller à la prévarication de la fortune publique en dépit des déchéances et des lourdes peines d’emprisonnement ? Ce détachement du président de la République est aussi la traduction d’un éloignement de la population, en ville comme dans la Cameroun profond. Il faut le dire, Paul Biya visite rarement les régions, c’est connu.

3-Le pouvoir du silence

Une autre caractéristique de Paul Biya est son silence. Devant certains faits où il est des plus attendus, il se mure dans le silence. Pour l’affaire Martinez Zogo, il a surpris tout le monde en instruisant une enquête via la gendarmerie et la police. En s’adressant à la jeunesse le 10 février, alors que beaucoup étaient tout yeux tout oreilles pour qu’il donne quelques assurances, il est resté égal à lui-même, silencieux. Qu’on se souvienne de la cohue autour de Covidgate, Cangate, Olembégate. Il n’a rien dit. Et pour aller plus loin, quand en 2004, alors qu’il était en Europe, une lancinante rumeur annonce sa mort, semant la panique au pays et au sein de la diaspora, Paul Biya a gardé tout son silence, laissant au passage prospérer la rumeur. Ce n’est pas seulement en interne, même au sein de la Cemac, de la Ceeac ou de l’Union africaine, l’homme lion est taiseux. Il est pourtant réputé le sage auprès duquel beaucoup de ses homologues viennent prendre des conseils. Qu’on se souvienne, à la veille de l’élection présidentielle de 2018, beaucoup se demandait s’il allait se présenter ou pas. Il a entretenu le doute dans l’esprit des militants au point où un membre du Comité central du RDPC a défrayé la chronique en annonçant qu’il est partant si Paul Biya ne se présente pas. Au début des années 90, avec le Vent d’Est né avec la chute du Mur de Berlin, alors que ses camarades du RDPC battent le macadam contre le multipartisme précipité, Paul Biya les prend de court, en annonçant qu’il faut se préparer à la concurrence. Dans le silence complet, Il les a bonnement laissés user temps et énergie. C’est dire combien le silence présidentiel peut être redoutable. En période Covid, de 2020 à 2021, l’opinion, animée par l’opposition a donné Paul Biya pour mort. Silence ! L’incertitude s’installe dès lors dans l’esprit de beaucoup de ses concitoyens. Pour répondre, il reçoit plus tard l’ambassadeur français en audience au palais de l’Unité sans autre communication. On se souvient de ce ministre des Sports longuement félicité par Paul Biya à l’inauguration du palais des Sports. Quelques jours après, il était débarqué du gouvernement. « Se taire ne signifie pas qu’on a rien à dire », martelait-il un jour, lourd de sens à ce propos.

4-Le feinteur

Paul Biya est un redoutable feinteur, dont les dribles peuvent déchirer la culotte de son adversaire. C’est le champion du contournement, de l’esquive pour frapper le coup fatal quand l’adversaire baisse pleinement la garde, oublieux des antécédents. De ce fait, il joue avec le temps, et ne s’inscrit pas au calendrier des joutes de ses adversaires politiques. Pour preuve, après les législatives et municipales couplées de février, les régionales de décembre 2020, le président de la République n’a nullement opéré quelconque réaménagement ministériel du gouvernement Dion Ngute du 4 janvier 2019 pour récompenser les victoires politiques. Rien. Avec son opposition, les feintes et les frappes sont encore plus redoutables. Ainsi les partis politiques tels que l’Upc, l’UNDP, l’UDC, le SDF, le MRC ou le PCRN, chacun à son niveau sait les manoeuvres dont sont capables le parti présidentiel. Le dernier parti cité se souvient des machinations qui ont servies à débaucher les voix de ses conseillers municipaux dans le Nyong Ekelle ; ’Upc, l’UNDP, la SDF savent les nombreux schismes qui les ont traversés au début de la vie démocratique. On leur a rogné les ailes pour les cantonner dans les fiefs congrus. On sait aussi toutes les chaussetrappes servis à l’UDC dans le grand Ouest. Aujourd’hui encore, le MRC a encore des militants en prison pour des raisons qui sont connues.

5-Président solitaire ?

A 90 ans, Paul Biya est sans conteste l’un des patriarches de la Nations camerounaise. Ils ne sont pas nombreux ses amis d’âge à l’exemple du patron de la police nationale, Mnarga Nguellé qui est d’un an son aîné. Que ce soit Niat Njifendi Marcel, le président du Sénat ou Cavaye Yeguié Djibril, ses proches collaborateurs au sommet de l’Etat, ils ont un âge tout autant vénérable mais sont des cadets du président de la République. Ils ne sont plus nombreux, les amis de Paul Biya avec qui il a cheminé depuis avant ou depuis 1982. « Le vieux » est là, plus que jamais en forme physique car on l’a vu tenir debout pendant plus d’une heure à l’occasion des voeux républicains. Cette forme physique traduit à n’en pas douter une hygiène de vie certaine. Combiens de patriarches de 90 ans sont encore en activité dans nos contrées ? Combien sont-ils encore qui tiennent débout ? Combien sont-ils qui se déplacent sans support ? C’est dire donc que Paul Biya est un cas unique en son genre, on ne va pas ignorer qu’à la grâce vient se greffer une affaire de gêne. Combien de présidents français a-t-il connus dans l’exercice de son pouvoir ? François Mitterrand, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, François Hollande et Emmanuel Macron. Paul Biya est de ce fait pour ses concitoyens et ses homologues un sphinx du pouvoir qui tient les secrets de la longévité. On n’est pas assurément chef de l’Etat du Cameroun pendant 40 si on veut, mais si on peut.

6-Echaudé par le 6 avril 1984

6 avril 1984, Paul Biya naissait politiquement, officiellement dans la douleur. Le Paul Biya à qui Ahmadou Ahidjo avait cédé le pouvoir n’était plus désormais le même. Il était sorti indemne des feux du canon. L’homme politique d’aujourd’hui nous était né. Désormais, la sécurité de l’homme du 6 novembre 1982 est devenue une préoccupation de tous les instants. Il a verrouillé de ce fait le système pour parer à toute éventualité. Ce Paul Biya du 6 novembre 1982 est entré aussi dans le champ politique avec cette même méfiance car on ne sait jamais de quel côté peut venir la chute. Il faut veiller, car personne ne sait ni le jour ni l’heure, est ainsi devenu une prescription biyaenne dans la stratégie de conservation du pouvoir. Le proverbe « chat échaudé craint l’eau froide », revêt tout son sens ici.

7-Son opposition

L’autre fait qui caractérise le président de la République est la méfiance vis-à-vis de son opposition. Cette attitude a fait date. On se souvient qu’au plus fort des villes mortes dans les années 1990, la police avait administré une fessé aux opposants à Douala, qualifiée par la presse à l’époque de fessée nationale. On peut compter le nombre de fois où Paul Biya a rencontré Ni John Fru Ndi quand il était dans une opposition radicale. De même depuis que le MRC de Maurice a pris la relève du SDF, il est à parier que Paul Biya ne voudra jamais le rencontrer. Pourtant, il faut nuancer en indiquant que le même Ni John Fru Ndi qui hier était un farouche opposant de Paul Biya est aujourd’hui revenu à de meilleurs sentiments. Bello Bouba Maïgari, leur autre opposant est aujourd’hui entré au sein du gouvernement tout comme Issa Tchiroma Bakary ou Hamadou Moustapha. C’est dire que le N’nom Ngui redoute une opposition irréductible.

8-La succession

Qui va s’installer sur le fauteuil de Paul Biya après lui ? Personne ne peut le savoir au moment où tous se positionnent comme des potentiels successeurs. Beaucoup pensent que la carte se jouera au sein du RDPC où le successeur de Paul Biya prendrait la tête du parti au prochain au Congrès. Ce n’est pas une mince affaire. Déjà, au sein du sérail, des clans se disputent ou se neutralisent. Paul Biya regarde tout le monde de haut en maitre souverain. Des noms circulent au sein de l’opinion mais tous les avertis savent qu’à l’image de ce que disait le président ivoirien Houphouët Boigny, « un chef ne voit pas son successeur ».

9-Le retour au village

Le retour au village est un concept que Paul Biya a sorti de son chapeau quand la presse française lui a posé la question sur la suite de sa vie politique. Après le mandat en cours, va-t-il rentrer au village ou bien va-t-il continuer au sommet de l’Etat ? Ce sera dans trois ou quatre ans comme il l’a indiqué la presse. En attendant, Paul Biya scrute son monde qui de toute évidence s’agite derrière le rideau pour se positionner au cas où. « Le vieux lion » observe, certainement animé par les intentions avouées et inavouées des uns et des autres.