L’officier de police principal Yenkong Housseni et le colonel Beyene Guy ont été entendus devant le Tribunal militaire de Yaoundé jeudi, 27 juillet, sur les violences survenues dans les régions anglophones du pays entre novembre et décembre. Ils ont comparu en qualité de témoins du ministère public et sont revenus sur la journée du 08 décembre 2016, au cours de laquelle, une montée de violence avait empêché la tenue d’un meeting du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC).
La situation s’était envenimée dans le chef-lieu de la région du Nord-Ouest. Des actes de vandalisme, d’une « rare violence », selon des sources sur place, avaient animé la ville anglophone où, deux mois plus tôt, avocats et enseignants avaient engagé des mouvements d’humeur corporatistes. Des dizaines de jeunes y avaient dressé des barricades sur les principales artères de Bamenda, mettant symboliquement le feu à des tenues du RDPC.
L’officier de police Yenkong Housseni se trouvait ce jour-là au lieu-dit «commercial avenue», censé accueillir la marche du parti au pouvoir. Il a relaté ces évènements devant 27 manifestants – dont deux leaders du Consortium de la société civile du Cameroun occidental – jugés pour des faits de terrorisme. «A ce moment-là, j’assumais les charges de commissaire par intérim au 3e arrondissement. Donc le matin du 08 décembre, je suis arrivé au commercial avenu à 8h45. Il y avait des manifestants qui tentaient de perturber la réunion du RDPC. Donc les éléments des forces de défense et de sécurité présents tentaient de les empêcher d’investir les lieux. Les gens lançaient toutes sortes de projectiles sur nous. J’y suis resté jusqu’à ce qu’on m’annonce, à 10h15, que notre poste est attaqué. J’ai décidé d’y allé mais les gens m’ont conseillé de ne pas le faire de peur de me faire lyncher par la foule. J’ai emprunté un raccourci et je suis arrivé au poste. Sur place j’ai trouvé une foule de plus de 600 personnes attroupées, le poste avait été vandalisé et les deux éléments qui s’y trouvaient étaient retenus en otage. Les manifestants exigeaient qu’ils ouvrent les cellules pour libérer tous les prisonniers.
J’ai sorti mon arme et j’ai commencé à tirer en l’air pour tenter de disperser les manifestants. Ça a marché, les gens fuyaient et moi je me suis mis à courir pour entrer dans le bâtiment malgré que les manifestants continuaient à me lancer des cailloux. Une fois à l’intérieur j’ai ouvert la porte de la salle qui contenait les armes et c’est ainsi que moi et les deux éléments on a commencé à tirer en l’air pour décourager la foule. Nous avons constaté que les premiers rangs étaient formés des enfants de 13 ou 14 ans. Les adultes étaient derrière nous avons continué à tirer en l’air. Pendant qu’on en était là, près de deux cent personnes sont arrivées en renfort à la foule tenue dehors. Ils portaient un corps, ce qui a fait que les gens sont devenus encore plus hystériques, ils lançaient toujours des projectiles et nous à un moment on a manqué de munitions. J’ai donc fait appel à une couturière qui a son atelier juste à côté du poste. C’est elle qui nous a fait parvenir des kabas (tenue traditionnelle féminine), nous avons enlevé nos uniformes et nous nous sommes habillés comme des femmes. C’est ainsi qu’on a pu sortir et échapper aux assaillants. Tout le poste a été saccagé, les assaillants ont volé tous les objets de valeur, des véhicules et huit motos, ensuite ils ont mis le feu», raconte-t-il.
«C’est grâce à Dieu que j’ai survécu»
Le colonel Beyene Guy a également livré son expérience des mêmes évènements. Au moment des faits, il officiait en qualité de commandant de région de gendarmerie du Nord-Ouest. Il était sorti aux premières heures de la matinée pour la revue de ses troupes afin de s’assurer que le dispositif sécuritaire prévu était effectif. «C’était le cas. Je suis remonté dans ma voiture pour aller à Grand stade. Sur la route j’ai été attaqué par des manifestants. Il y avait plus de 1000 personnes, C’était tous des bandits, des agresseurs, comme ils étaient un peu loin nous avons pu amorcer un virage et leur avons échappé. Ils lançaient des projectiles et criaient «Na them that (les voilà, Ndlr». Ma voiture a été endommagée au niveau de la carrosserie, les vitres étaient cassées, moi-même j’ai été blessé. Ils avaient pété les plombs, tout le monde sait que je suis le commandant de la région mais ces gars m’ont agressé, ils m’ont humilié. Ce sont eux qui ont provoqué les éléments des forces. C’est grâce à Dieu que j’ai survécu», se souvient-il.
Le témoignage du colonel Beyene Guy a été ponctué par l’identification de Mancho Bibixy, alias Macho BBC, animateur radio initialement jugé aux côtés de Fontem Neba et Nkongho Agbor Bala, les leaders du Consortium, avant la jonction de procédure. «Je ne le connaissais pas avant, j’avais entendu parler de lui. Les gens disaient qu’il était un véritable phénomène. Je crois même que c’est Mancho qui a occasionné tout ce désordre en sortant avec son cercueil. D’ailleurs, je détiens même encore son cercueil dans mes services.»
Quinze autres témoins de l’accusation doivent encore être entendus. Ils vont se soumettre, à leur tour, à l’interrogatoire du commissaire du gouvernement et de la partie civile – composée des victimes de cette crise et de la Délégation générale de la sureté nationale – avant de subir le contre-interrogatoire du conseil de la défense. L’audience est reportée au 31 août prochain pour poursuite des auditions des témoins.