Rétrospectivement, on peut, sans mauvaise foi aucune, affirmer que Ahmadou Ahidjo avait minutieusement préparé sa succession afin d’éviter que le Cameroun sombre dans le chaos après son départ du pouvoir.
En 1975, à l’approche du « congrès de la maturité » de l’Union nationale camerounaise tenu à Douala du 10 au 15 février de la même année, des rumeurs couraient, s’amplifiaient à mesure qu’on approchait la date sur les intentions du président Ahidjo à ne pas solliciter le renouvellement de son mandat à la tête de l’Unc, donc au sommet de l’Etat.
Habilement, en homme politique avisé et impressionné par le vaste soutien populaire qui l’appelait à demeurer à la tête de l’Etat, Ahmadou Ahidjo, conscient que son retrait prématuré fragiliserait le Cameroun en l’installant dans une zone de turbulence préjudiciable, acceptait de demeurer chef de l’Etat et de se présenter à la présidentielle qui se tiendra quelques mois plus tard.
Mais, il profitait de cette occasion pour déclarer devant près de deux mille congressistes réunis en séance ordinaire et des centaines de milliers de Camerounais ayant l’oreille collée au transistor pour jeter les jalons de son futur départ de la présidence de la République en déclarant « Je n’ai pas l’intention de m’éterniser au pouvoir, mais, répondant à votre vœu unanime et à l’appel des masses populaires, j’accepte de solliciter des électeurs camerounais un nouveau mandat à la tête de la nation. » Le 5 avril 1975, il était élu à plus de 99 % pour son avant dernier mandat de cinq ans. Mandat au cours duquel, faut-il le souligner, il modifia la constitution pour faire de son premier ministre, Paul Biya, son successeur constitutionnel.
Logique avec lui, il se fera prier par politesse avant d’accepter son investiture au congrès de Bafoussam tenu du 12 au 17 février 1980. D’ailleurs, il réitèrera ses propos que nous citons de mémoire quelques années plus tard devant les journalistes du club de la presse du tiers monde à l’occasion de la célébration du dixième anniversaire de la république unie du Cameroun : « Je n’ai jamais dit que j’allais m’éterniser au pouvoir […] Pour ma succession, la chose que je puis dire est que la procédure est prévue par la constitution et que je ferai en sorte, si tout va bien et si Dieu le veut, que ma succession se déroule normalement qu’il n’y ait pas de vide au Cameroun. »
L’annonce de sa démission, le 4 novembre 1982 traduit sa volonté de rester cohérent avec lui-même.
Comparativement à son illustre prédécesseur, « digne et prestigieux fils de ce pays, père de la nation camerounaise, artisan de son unité et son développement, […] géant de l’histoire camerounaise, de l’histoire africaine, de l’histoire tout court » (dixit Paul Biya), l’homme du Renouveau continue d’exceller dans la stratégie du clair-obscur au sujet de sa succession. Cette posture, associée à ses déclarations qui laissent penser que les Camerounais ont affaire à un adolescent de plus de 80 ans, dévoile une seule réalité de l’homme, à savoir que le projet de vie de Paul Biya est le gouvernement perpétuel. D’autant plus que ces petits mots dévoilent la nature profonde du locuteur, sa petitesse et son étroitesse de vue face aux enjeux contemporains, l’absence de vision pour le Cameroun. Elle est la preuve patente que l’unique projet ou ambition du Nnom Gui est de durer au pouvoir ad vitam aeternam.
Les mots d’ordre de rigueur, de moralisation, de démocratie, tout comme la lutte sacrificielle à tête chercheuse contre la corruption et les purges politiques, ne sont que des supports d’une ingénierie de conservation du pouvoir en marche depuis le 6 novembre 1982 et sans cesse remaniée au regard des exigences conjoncturelles.