La bataille pour la succession s'annonce de plus en plus rude au pays de Paul Biya. Ferdinand Ngoh Ngoh semble avoir définitivement dit au revoir à la course à la succession.
Pendant ce temps de nouveaux noms surgissent et font leur entrée dans la course infernale à qui va succéder à Paul Biya au trône électoral.
Pour le confrère 237online qui expose ces nouveaux noms, il s'agit d'une véritable série digne de la saga "Game of Thrones" à Etoudi. Extrait...
« Au secrétariat général, un homme, Mohamadou Moustapha, est chargé de la synthèse.
Mais, depuis peu, Paul Biya a brouillé les cartes et décidé que la quasi-totalité des bulletins devaient être envoyés à la direction de son cabinet, à Samuel Mvondo Ayolo. « Aujourd’hui, 90 % des notes sont censées être transmises au cabinet et non au secrétariat général », affirme un cadre du renseignement. Certains maîtres espions préfèrent cependant jouer sur les deux tableaux, comme le nonagénaire Martin Mbarga Nguelé. « Il ne s’entend pas avec le directeur du cabinet civil [dont il a un jour fait interpeller le frère, Yves]. Il considère qu’il est l’aîné et peut passer outre les consignes. Il court-circuite ou envoie ses informations à Ngoh Ngoh, originaire de la même région que son épouse », sourit cette source.
Le colonel Émile Bamkoui peut également s’affranchir des consignes. « Il transmet à l’un, à l’autre, aux deux… ou à aucun des deux ! » résume un proche. Subordonné du ministre délégué à la Défense, Joseph Beti Assomo, le patron de la Semil profite de la rencontre mensuelle de son chef avec le président pour faire passer des messages. Il lui arrive aussi d’utiliser l’entremise du chef d’état-major particulier de Paul Biya, le discret général Emmanuel Amougou.
« La hantise de Paul Biya, c’est un système centralisé dont quelqu’un pourrait prendre le contrôle en son absence. Il préfère conserver plusieurs canaux rivaux », analyse notre source diplomatique à Yaoundé. Illustration : le Conseil national de sécurité, censé regrouper les chefs du renseignement, de l’armée et de la police, ne se réunit plus depuis des années. Paul Biya voit-il sa présidence comme un échiquier, sur lequel il déplace ses collaborateurs à sa guise ? Voit-il en Ferdinand Ngoh Ngoh un fou, en Samuel Mvondo Ayolo un cavalier, en Joseph Fouda une tour et en Chantal Biya une reine ? Après quatre décennies de pouvoir, ce sphinx, qui ne paraît plus s’épanouir que dans la gestion d’une guerre des clans qui s’éternise, garde aux yeux de certains de ses collaborateurs l’allure d’un roi à protéger.
Parmi eux, le colonel Raymond Jean Charles Beko’o Abondo est sans doute le plus assidu. Considéré par le chef de l’État comme un fils adoptif, ce quadragénaire dirige depuis 2013 la garde présidentielle, composante principale de l’appareil sécuritaire d’Etoudi. Déployée en deux cordons le long des huit kilomètres du mur qui entoure le Palais, la « GP » dispose de plus de un millier d’hommes sur place. Six cents autres sont en alerte dans leur camp de Yaoundé. Plusieurs centaines sont aussi déployés dans les sept résidences présidentielles régionales, sécurisées par des soldats relevés chaque mois.
Cette garde tentaculaire compte même des spécialistes chargés des chevaux d’Etoudi – animaux de parade que Chantal Biya aimait monter jusqu’à une chute, en 2008. Un officier nous a aussi confié avoir eu à sa charge la santé de deux dromadaires, offerts par Mouammar Kadhafi dans les années 2000. Acheminés de Tripoli par un avion C130, ils avaient pris leur quartier à Mvomeka’a, cette localité du Sud où le chef de l’État aime encore à se rendre par la route. L’hélicoptère de Paul Biya – piloté par la garde – est réservé aux urgences. Le président l’a emprunté en avril dernier, lorsqu’il a dû être rapatrié à Yaoundé à la suite d’un malaise.
Depuis l’aile réservée à l’état-major, à la GP et à la DSP, le colonel Beko’o Abondo peut aussi déployer drones de surveillance, unités antiterroristes, tireurs d’élite et brigade canine, chargés de sécuriser – parfois une semaine à l’avance – les lieux où a prévu de se rendre la « haute personnalité ». Mais, là non plus, la politique n’est jamais loin. « Beko’o Abondo éprouve une véritable méfiance à l’égard de Ferdinand Ngoh Ngoh, qui a sous sa supervision le puissant Bataillon d’intervention rapide [BIR], affirme un habitué d’Etoudi. Même si le BIR et la GP sont tous deux formés par les Israéliens, la seconde surveille un peu le premier. » Beko’o Abondo s’est ainsi éloigné des conseillers venus d’Israël, trop liés à Ferdinand Ngoh Ngoh. « Personne n’est au-dessus de la mêlée, sourit un proche du Palais. Sauf peut-être Ivo. »
Ivo Desancio Yenwo est un peu le gilet pare-balles de Paul Biya. À la tête de la DSP, cet homme austère de 78 ans, originaire du Nord-Ouest, dirige depuis quatre décennies les gardes du corps du chef de l’État, qui, en tenue civile, suivent partout la « haute personnalité » et ses proches. « Personne ne viendra contredire Yenwo, et lui peut dire non à tout le monde », résume un ancien gradé du Palais. Dernier exemple en date : au début de cette année, le patron de la DSP s’est opposé à ce que les codes de sécurité du réseau informatique d’Etoudi soient transmis à Ngoh Ngoh, qui en avait fait la demande. La méfiance, toujours.
« Monsieur Loyal »
Ivo Desancio Yenwo, qui passe pour être celui qui a mis Paul Biya en sûreté en 1984, contrôle tout, des souterrains d’évacuation au bunker, et tout le monde, du maître d’hôtel au directeur de cabinet. « La garde présidentielle tient le régime et a la préséance sur l’organisation de la sécurité. Mais le général Ivo peut prendre le dessus s’il le souhaite, affirme un ex-officier de la garde. Quant au contre-amiral Fouda, il sait qu’il n’a pas les mêmes compétences opérationnelles et qu’il est plus “politique”. Chacun reste dans son couloir. » Dans le grand théâtre de Biya, Ivo Desancio Yenwo est-il la pièce qui surveille l’échiquier, sans jamais véritablement entrer en jeu ? « C’est “Monsieur Loyal”, résume notre diplomate. Il est peut-être la seule personne à qui Paul Biya fait une confiance aveugle. »
Depuis sa tour d’ivoire, qu’il ne quitte que pour se rendre à Mvomeka’a, à l’hôtel InterContinental de Genève ou à la clinique de Genolier, en Suisse, Paul Biya est-il fier de la complexité d’un système grâce auquel il règne en maître depuis quatre décennies ? Ou s’y sent-il, comme ses détracteurs le pensent, pris au piège de la guerre des clans ? Lui seul détient la réponse. Le 7 novembre, quarante ans et un jour après son accession au pouvoir, un contre-amiral déposera sur son bureau les notes de ses conseillers. Au deuxième étage ou au secrétariat général, les uns et les autres se regarderont, méfiants et suspicieux. Dans une feinte indifférence, le ballet d’Etoudi se poursuivra ainsi, entre les murs parfois décrépits d’une présidence crépusculaire…. »