Samuel Mvondo Ayolo, l'ambassadeur du Cameroun en France, dans une interview accordée à RFI, ce 16 octobre 2017, est revenu sur les violences dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest le 1er octobre dernier.
Nous vous proposons intégralement cet entretien paru sur le site internet de RFI.
RFI : Il y a eu de graves évènements le 1er octobre dernier dans les provinces du Nord-Ouest et du Sud-Ouest – au moins 17 morts, selon Amnesty International – et les évêques catholiques de ces deux régions dénoncent « la barbarie et l’usage irresponsable des armes à feu contre des civils non armés ».
Samuel Mvondo Ayolo :Ne soyons pas excessifs. Le gouvernement s’est exprimé sur ces graves incidents. Il n’y a pas eu de barbarie. Mais j’aimerais préciser quelque chose. Depuis un an, le gouvernement avec le président Paul Biya ont engagé un dialogue sur des revendications catégorielles. Ces revendications ont été satisfaites et le président de la République est allé au-delà. Il s’est trouvé que des gens de l’extérieur manipulent une jeunesse pour laquelle le président de la République porte une grande attention d’ailleurs. Une jeunesse - une fraction de la jeunesse -, qui a mal à voir son avenir, a été manipulée pour mener des actions de violence, brûler les commissariats, brûler les écoles, casser… Et voilà, les forces de l’ordre ont d’abord contenu ces gens et ont dû réagir. Imaginez-vous dans une république, un Etat de droit comme le Cameroun, où des gens qui, avec des fusils, tirent sur les forces de l’ordre.
Oui, mais tout de même, selon les évêques de ces deux provinces, les forces de l’ordre ont tiré sur de braves gens qui voulaient se rendre à la messe. Il y a même eu, selon ces évêques, des tirs à balles réelles depuis des hélicoptères !
Je doute. Je vous le dis, c’est évident, le gouvernement n’a pas donné d’ordre de tirer sur des gens désarmés. Et je ne sais pas si les évêques du Cameroun ont des compétences en matière d’enquête.
Vous êtes l’ambassadeur du Cameroun à Paris, mais vous êtes aussi un homme très proche du chef de l’Etat camerounais Paul Biya. Et celui-ci a dit, le 1er octobre, au soir des évènements : « Je condamne énergiquement tous les actes de violence, d’où qu’ils viennent ». Est-ce que ça veut dire que les coupables seront châtiés, y compris si nécessaire au sein des forces de l’ordre ?
De toute façon, le président de la République donnera les suites qu’il faut. Il l’a toujours fait. S’il y a eu des coupables de violences non justifiées parmi les forces de l’ordre, des sanctions seront prises. Mais il faut aussi voir que les forces de l’ordre ne sont pas, à mon humble avis, condamnables dans cette affaire, parce qu’elles n’ont fait que réagir à une violence qui devenait extrême. On a tiré avec des fusils de chasse sur les forces de l’ordre.
Fin août, le président avait ordonné la libération de plusieurs leaders anglophones. Le soir des graves événements du 1er octobre, il a lancé ce nouvel appel au dialogue. Mais après tant de victimes, comment créer les conditions de ce dialogue ?
Quand vous dites « après tant de victimes », c’est cautionner les chiffres qui vous ont été fournis qui n’ont fait l’objet d’aucune vérification. Et je vais vous dire. Le dialogue est entamé depuis longtemps. Dès le début de ces incidents, le président de la République a mis en place un dispositif qui a dialogué avec les avocats, avec les enseignants. Et le président de la République est allé même au-delà des revendications pour les satisfaire. Il a mis en place une commission qui, aujourd’hui, s’occupe du bilinguisme. Et je voudrais souligner que les perceptions qui sont celles de l’étranger font sourire beaucoup de Camerounais. Au Cameroun, je ne sais pas si on peut dire qu’il y a les Anglophones et les Francophones. Tous les Camerounais sont francophones. Tous les Camerounais sont anglophones.
Beaucoup d’enseignants anglophones déplorent la nomination d’enseignants francophones dans ces deux régions à majorité anglophone. Qu’est-ce qui peut être fait de ce côté-là ?
Je crois que cette revendication a mené le gouvernement à procéder à des ajustements. Ces ajustements vont continuer tant que le Cameroun existera.
Dans ces deux régions, beaucoup de magistrats déplorent la suprématie du droit romain au détriment de la commonlaw d’inspiration britannique.
Vous savez, faire que l’Anglophonie et la Francophonie soient adoptées, c’est un alliage pas facile. Evidemment, la common law, le gouvernement a prêté une oreille à ça et des mesures ont été prises.
De plus en plus de voix s’élèvent sur la scène internationale pour appeler au dialogue : l’Union européenne, les Etats-Unis, le secrétaire général de l’ONU, la France… Est-ce qu’une conférence pour la résolution des problèmes du Nord-Ouest et du Sud-Ouest est envisageable ?
Le président Biya est tout à fait ouvert au dialogue. Dès le début de la crise, un dialogue a été engagé entre les avocats et le gouvernement, entre les enseignants et le gouvernement et les questions ont été réglées. Maintenant, demander qu’il y ait sécession, c’est impossible. Un Etat ne peut pas négocier sa division. Ça n’existe nulle part dans le monde.
Quand vous dites qu’il n’est pas question de parler de sécession, ça veut dire que vous êtes ouvert à toute autre solution ?
Ce n’est pas moi qui suis ouvert, ce n’est pas mon rôle. De toute façon, le président de la République l’a dit : « La forme de l’Etat n’est pas négociable ». Le fédéralisme – c’est de ça dont vous voulez parler –, certains l’ont évoqué. Le fédéralisme peut aller avec certains pays. Avec d’autres, il ne peut pas marcher. Et dans le cas spécifique du Cameroun, nous avons une expérience fédérale. Et si nos pères avaient estimé que cette expérience était la bonne, on serait demeurés un Etat fédéral. C’est qu’on a dépassé le fédéralisme. Et les problèmes qui ont été évoqués peuvent trouver solution dans le cadre d’un Etat unitaire.
Le fédéralisme a été abandonné, c’est vrai, en 1972. Mais est-ce que, quarante-cinq ans plus tard, il ne peut pas revenir ?
Vous savez, on ne danse pas le tango avec les institutions, deux pas en avant un pas en arrière. Nous avons dépassé cette forme de l’Etat en 1972 parce que, dans le cas du Cameroun, on ne trouvait pas cela viable. Et je peux vous dire qu’on a des exemples – je ne veux pas citer un pays voisin –, on a des exemples de cas de fédéralisme qui ne marchent pas bien et que, si ça marchait si bien, nous aurions copié.
Ce qui bloque, semble-t-il, chez beaucoup d’habitants de ces deux provinces du nord-ouest et du sud-ouest, c’est la Francophonisation des institutions – écoles, tribunaux, etc. Et dans une tribune au journal Le Monde titrée Le Crépuscule d’une dictature à huis clos, le politologue Achille Mbembe appelle « une dé-francophonisation de l’Etat camerounais dans les deux provinces ».
Je ne veux pas commenter les propos trop excessifs de monsieur Achille Mbembe. Si le Cameroun vivait dans une dictature, ça se saurait. Qu’il vienne, lui qui a choisi de vivre en Afrique du Sud, qu’il vienne voir un peu au Cameroun et il verra que la démocratie fonctionne bien au Cameroun. Et ces propos excessifs, on les entend de partout dès qu’il y a une crise. Il n’y a pas une francophonisation. Je vous dis bien que tous les Camerounais sont à la fois francophones et anglophones. Et la crise - je vous dis bien -, c’est l’exploitation par des forces situées à l’étranger d’un mal-être d’une fraction de la jeunesse. La société réelle au Cameroun reste pour l’Etat unitaire.
Et dans cet Etat unitaire, on peut imaginer une plus forte régionalisation ?
Mais notre Constitution prévoit la décentralisation et, comme vous savez, le président Paul Biya est toujours très pragmatique. Dans notre Constitution, on met en œuvre tout ce qui est prévu progressivement. Vous voyez, le Cameroun est confronté à un grand défi sécuritaire, un défi humanitaire près de la frontière avec la Centrafrique et la crise économique dont nous ne sommes pas les auteurs, puisque les cours des matières premières, ce n’est pas nous qui les déterminons, les termes de l’échange sont défavorables… Et ces problèmes-là, le gouvernement a à cœur de les résoudre.
Il y a encore un an, la majorité des habitants de ces deux régions du nord-ouest et du sud-ouest semblaient être sur une position modérée. Mais est-ce que le durcissement du pouvoir ces derniers mois – répression, arrestations, coupures d’Internet – n’a pas renforcé le camp des sécessionnistes. A preuve, les dizaines de milliers de manifestants du 22 septembre dernier ?
Attention… Vous dites « le durcissement du pouvoir ». Je ne sais pas comment vous l’avez perçu. Je vous dis bien, le pouvoir n’a fait que réagir pour protéger les personnes et les biens devant des actes de violence perpétrés par une fraction de la jeunesse manipulée.
Mais est-ce, que de fait, il n’y a pas un engrenage depuis un an qui fait que maintenant il y a plus de sécessionnistes qu’il y a un an ?
Quand vous dites « sécessionnistes », je ne sais même pas si ceux qui manifestaient savent ce que c’est que la sécession.
Il y a les événements du nord-ouest et du sud-ouest. Mais il y a aussi les attentats de Boko Haram au Nord-Cameroun, où l’on déplore 2 000 morts depuis deux ans. Et aujourd’hui, la presse de Yaoundé et de Douala pose la question : l’armée camerounaise n’est-elle pas en train de tomber dans le piège de la dispersion des forces ?
Non. Nos forces sont projetées dans l’extrême-nord et je vous le dis, c’est l’extrême-nord – ce n’est pas dans le nord du Cameroun –, pour répondre à une agression qui nous est imposée de l’extérieur. Parce que Boko Haram, comme vous le savez, vient d’un pays voisin. Et je veux saluer ici les autorités françaises qui accompagnent les autorités camerounaises dans cette lutte contre le terrorisme. On ne disperse pas des forces parce que, dans ce qui se passe dans le Nord et le Sud-Ouest, ce sont des forces de police – de gendarmerie et police – qui sont déployées. Ce n’est pas l’armée qui est déployée, contrairement à ce que les gens peuvent raconter.
Il n’empêche, j’imagine que, sur le plan financier - sur le plan budgétaire -, cela pèse très lourd, non ?
Ça pèse très lourd et c’est pour ça que je dis que nos efforts de développement sont un peu contrariés par ces défis sécuritaires.
Le mois dernier, un attentat-suicide a encore eu lieu dans l’extrême nord du Cameroun. On a déploré la mort de quatre civils. Est-ce que vos deux gouvernements du Nigeria et du Cameroun n’ont pas crié victoire trop vite contre Boko Haram ?
On n’a pas crié victoire contre Boko Haram. D’autant plus qu’on sait très bien que le terrorisme, c’est un phénomène complexe. Il y a des reconversions. Vous en vivez l’expérience ici en France où des actes terroristes continuent d’être perpétrés. Donc on doit toujours et permanemment être vigilants.
En vue de la présidentielle d’octobre 2018, c’est-à-dire dans un an, plusieurs personnalités ont déjà déposé leur candidature. Parmi elles, le célèbre avocat Akéré Muna, qui déplore la vacance du pouvoir. Selon lui, le chef de l’Etat Paul Biya, c’est le grand absent.
On a souvent entendu ça, mais c’est ridicule. Le président Paul Biya est un homme très moderne. Vous savez que la technologie a transformé les conditions de travail. Vous-même qui êtes journaliste, vous pouvez travailler à votre domicile, comme partout dans le monde où vous vous trouvez. C’est comme si vous étiez présent. Et le président Biya le fait. La preuve, toute la crise dont nous parlons est gérée correctement et convenablement. Lorsqu’il y a une crise, des messies naissent, mais le peuple reconnait le vrai messie toujours. Il y a des gens, des sauveurs qui jouent aux Cassandre, qui disent que la situation est catastrophique, que le bateau n’a plus de gouvernail… Mais sachez que le Cameroun est tenu.
Vous êtes ambassadeur à Paris, vous avez salué l’appui de la France au Cameroun dans la lutte contre Boko Haram. Mais pour l’instant, les deux présidents - Paul Biya et Emmanuel Macron - ne se sont pas encore rencontrés. Est-ce que ça ne dénote pas une certaine retenue entre les deux pays ?
Je voudrais vous dire tout de suite, pour vous rassurer, que les relations entre le Cameroun et la France sont excellentes. Vous savez, le président Paul Biya disait, lors de la visite du président Hollande en juillet 2015, que l’intensité et la force d’une relation ne se mesurent pas à l’aune des visites. Donc ce n’est pas le nombre de visites et de rencontres qui définit une relation. Je voudrais vous rappeler que le Cameroun est le pays en Afrique subsaharienne qui bénéficie le plus de l’appui économique français. C’est dire que nous avons une relation très étroite. Et rassurez-vous, le président Biya et le président Macron se rencontreront à un moment opportun. Le président Biya tient à ce que chaque rencontre – tout comme son homologue français – soit une rencontre utile dans le développement de leurs relations.