Atangana Louis de Gonzague est incontestablement le pionnier le plus emblématique du football féminin au Cameroun car son œuvre adossée sur d’importants sacrifices et un engagement extraordinaire a permis à la discipline d’exister, d’avancer malgré l’adversité socio-culturelle et l’absence de moyens structurels et financiers.
Evidemment plusieurs citoyens et nombre de jeunes acteurs de notre football national ne peuvent avoir pleinement connaissance de tout ce qu’a fait ce précurseur à une époque où il n’y avait que peu d’appareils photos et encore moins de caméras.
Ses contemporains arbitres mais aussi les jeunes joueuses d’hier devenues « anciennes amazones» savent que dans les années 70-80, Atangana Louis de Gonzague, alors arbitre de première division à la carrière internationale, était vu comme celui qui perdait son temps et on l’accusait même de détourner les jeunes filles. Mais face à tout cela, l’homme engagé qu’il était a opposé sa passion, son travail et son rêve.
L’Homme : un grand Mvog Fouda Mballa
Louis de Gonzague Atangana est né à Nkong-Abok, une localité située dans l’arrondissement de Ngoumou. Instituteur à l’école principale de nkoldongo avant d’être Surveillant général au Lycée Général Leclerc. Ce digne fils de la grande famille Mvog Fouda Mballa a également été Consultant médias, Instructeur fédéral et Arbitre international. Déterminé à gagner, il était réputé émotif -il pleurait dans des cas de défaites- et on le connaissait gueulard, adepte du franc parler mais pas rancunier.
Il n’avait pas de fortune mais utilisait toutes ses ressources pour le football. Lorsqu’il n’en avait plus, il jouait de ses relations avec quelques personnalités pour obtenir de l’aide et des financements pour ses équipes. Préoccupé par sa passion, il n’a pas construit de maison car il donnait tout au Football en nourrissant les jeunes joueurs qu’il attirait, en achetant maillots, chaussures etc.
Un sens du sacrifice « pour la communauté, pour son idéal qui a fait souffrir en premier lieu sa famille qui le voyait très peu et à laquelle il n’a pas laissé grand-chose au plan matériel. Il suffisait d’être attentif et de prêter l’oreille à l’époque pour savoir qu’Atangana Louis de Gonzague en tant que dirigeant de Canon filles y a laissé toute sa fortune.
En effet, l’homme était visionnaire et chasseur de joueuses. Au Lycée Général Leclerc, c’est lui qui propose au proviseur de recruter les meilleurs athlètes pour constituer une équipe pour les tournois inter-établissements qu’il initie.
Père et protecteur pour tous les sportifs de cette époque, il était un éducateur et un amoureux du travail bien fait qui avait en horreur l’échec. C’est ainsi que face à un joueur qui ne lui donnait pas satisfaction un jour au stade militaire, il avait lancé à ce celui-ci: « sors de mon maillot, descends de mon short et hôte toi de mes godasses ». Certainement voulait-il faire de l’humour, lui qui était aussi taquin, si on en croit Rita Solange Djob, ancienne pensionnaire du Mongo foot.
Lorsqu’il décède au début des années 2000, la procession qui accompagne Atangana Louis de Gonzagues à sa dernière demeure est naturellement conduite par sa famille sportive, avec à leur tête les arbitres, les hommes en noir du football… Nous ne saurons dire s’il était heureux de ce qu’il avait si vaillamment contribué à bâtir : des compétitions de football dans diverses catégories, des joueuses de football féminin respectées, une commission nationale de football féminin, des mécènes et des promoteurs qu’il a su attirer à l’exemple de M. Monthe Kouobité et de Mme Raymonde Balamaken dont la contribution à l’explosion du football féminin est à saluer.
« Nyegélé » : le maître passionné, travailleur et patriote
Atangana Louis De Gonzague était arbitre international et visiblement de ses nombreux voyages à l’étranger il avait déjà remarqué l’existence et l’évolution du football féminin. Il avait donc vu longtemps avant beaucoup d’autres qu’il fallait commencer, au-delà de quelques expériences et réussites individuelles, à constituer des équipes, à rêver d’un championnat, à structurer ce football.
C’est ainsi que riche des connaissances accumulées à l’étranger sur la pratique de la discipline par les femmes, il transpose les schémas de coaching ici et peut récompenser celles qui s’appliquent le plus avec des maillots mais surtout des godasses qui viennent remplacer les « batoula », comme s’en souvient Ngono Emilienne l’une de ses anciennes joueuses.
L’une des qualités d’Atangana Louis de Gonzague, c’est ce flair qu’il a pour dénicher des perles. En effet c’était un détecteur de talents sans pareille, puisqu’il a su voir et faire naitre chez des jeunes qui ne pensaient pas en avoir le talent, mais chez lesquelles il avait vu un potentiel athlétique et sportif, l’envie de jouer au football et le goût de l’effort en vue de la réussite.
Des jeunes filles qu’il réunissait et encadrait parallèlement aux garçons dans le cadre d’un centre d’apprentissage, « Mongo foot ». C’est ainsi qu’il va créer dans la fin des années 80, Canon filles de Yaoundé, constituée en majorité de cette cuvée de « Mongo foot ». Louis de Gonzague était-il un visionnaire ?
Car le « Mongo Football » qu’il expérimentait à l’époque (un centre d’apprentissage du football pour très jeunes enfants) est vraisemblablement ce que la FIFA développe aujourd’hui à travers le programme « GRASSROOTS », qui consiste à enseigner des techniques de football aux garçons et filles âgés de 6 à 12 ans…
La tâche ne fut pas si simple, surtout face à la réticence des parents. Mais Atangana Louis de Gonzague multipliait les arguments et réussissait à convaincre les géniteurs de ces jeunes mineures, que des filles jouant au football ne sont ni égarées, ni appelées à une vie légère ; la plupart poursuivait avec un certain bonheur les études.
Lorsqu’arrivaient les matches, il partait de sa base de nkoldongo à Yaoundé pour les prendre auprès de leurs parents dans différentes villes du Cameroun. Certaines comme Nzepang Henriette se souviennent que le président, une fois l’équipe constituée et réunie la veille des matches, leur cédait son appartement pour qu’elles se reposent et lui, il dormait sur la véranda… Et nombreux parmi ceux qui l’ont connu peuvent donner autant d’illustrations du sens de sacrifice de ce pionnier du football féminin au Cameroun.
Oui c’est cette passion, véritable dévotion exclusive pour le football qui animait Atangana Louis de Gonzague. Lui qui vivait d’abord et surtout pour sa passion le football : identifier, regrouper et encadrer des jeunes enfants dépassant à peine l’âge de 10 ans pour en faire des joueuses pour la victoire.
Il s’accrochait tellement à son club qu’il en arrivait à sacrifier sa santé pour nourrir les filles, payer des chaussures ou encore les primes d’entraînements. Des témoignages concordants de ses compagnons de route attestent de cette générosité d’un homme simple et pas envieux qui avait pour seul rêve : voir exister au Cameroun un championnat de football féminin.
Son rêve : l’envol du football féminin, le bonheur des camerounais
Premier à avoir cru en l’avenir du football féminin au Cameroun, ce personnage illustre est à l’origine du football féminin. Il a consacré sa vie au football, même les samedis et dimanches il marchait dans les rues de Nkolndongo et Anguissa avec un ballon de foot et à la première occasion, il entrainait avec des flatteries (repas, bonbons ou autres) des enfants sur un terrain de foot pour un entrainement particulier.
Dans une posture d’autodérision et conscient de son entêtement dans un environnement encore hostile à ceux qui veulent fabriquer « des Manga Onguene femmes », Atangana Louis de Gonzague affirmait à ses joueuses « Je serai le premier prisonnier politique du football féminin au Cameroun ». Une détermination à aller au bout de son rêve pour celui qui dès 1972 encadre de jeunes filles qu’il convainc de s’adonner sérieusement à un jeu qu’elles pratiquaient jusque-là comme un amusement pour la plupart.
Atangana Louis de Gonzague va voir son rêve commencer à prendre corps lorsque dans le cours des années 80, les filles sont les actrices de matches d’exhibition qui attirent un public curieux à l’occasion de grands évènements nationaux (fête de la jeunesse, fête nationale du 20 mai, Journée internationale de la Femme…).
Les dirigeants camerounais sont de moins en moins indifférents et le gouvernement va s’impliquer davantage à travers le Ministère de la Condition féminine conduit à l’époque par Mme Yao Aissatou. C’est ainsi qu’en 1989, les bases de la structuration du football féminin sont posées à la faveur de la création d’une commission nationale de football féminin…
L’année suivante, on va assister à une explosion du football féminin au Cameroun avec, notamment, la création de 36 clubs à travers le pays. Parmi les plus célèbres : Cosmos de Douala, Canon de Yaoundé, Provençal de Douala, Nufi Fc de Yaoundé, Soleil de Garoua, Gentle Ladies de Bamenda etc Soit autant de promoteurs et mécènes intéressés avec parmi les plus célèbres Samuel Tchoupe, Monthé Kouobité, Pauline Bourse, Patience Félicité Eboumbou, Atangana Louis de Gonzagues…
Le football féminin au Cameroun c’est aussi ces générations de joueuses qui se sont succédé au niveau national. Dès le milieu les années 1970 et 80 laissent apprécier le talent de Sita Bella, Moukiri, Tolo Ngui etc. La décennie 1990-2000 quant à elle est marquée par des joueuses telles Djob Rita Solange, Nzepang Henriette et Mvoué Régine.
Elles ont passé le relais après les années 2000 aux joueuses Anong, Bella etc avec lesquelles est née la cuvée de la récente coupe du monde et actuellement en compétition à la CAN féminine 2016. Une génération dont les résultats tiennent la promesse des fleurs lorsqu’on sait que ces cinq dernières années, l’équipe bénéficie d’un encadrement attentif sous l’impulsion particulière du Ministère de la Promotion de la Femme et de la Famille conduit de manière extraordinaire par Madame Marie-Thérèse Abena Ondoua.
Au moment où le Cameroun abrite la 10ème édition de la Coupe d’Afrique des Nations de football féminin et que certains affirment que le football féminin camerounais cherche encore ses marques, nous répondons qu’un marqueur historique existe.
Ce football féminin camerounais qui nous fait vibrer à l’unisson aujourd’hui trouve ses fondements dans l’œuvre incommensurable de cet homme, l’arbitre international Atangana Louis de Gonzague, de regrettée mémoire. Evidemment, d’autres personnes ont contribué à l’éclosion du football féminin au Cameroun mais l’engagement extraordinaire d’Atangana Louis de Gonzagues, les sacrifices surhumains consentis, la résistance dont il a fait preuve face à l’adversité socio-culturelle et la morosité des moyens, l’héritage qu’il a laissé à la nation, mais surtout son rêve clairement affirmé à cette époque incline à lui rendre un hommage mérité.
Par ailleurs, nous nous souvenons au passage d’autres fils Mvog Fouda Mballa, de la même contrée, qui avaient eux aussi marqué notre football de leur empreinte. L’un est un ancien brillant capitaine des Lions indomptables qui sera par la suite Président de la Fédération Camerounaise de Football : Pascal Baylon Owona et un autre actuellement chef traditionnel à Mbankomo, il fut un charismatique gardien de but: Jean Atangana Ottou alias « Remeter » ! Mais ça c’est une autre histoire, nous en parlerons en d’autres occasions.
Le regretté Atangana Louis de Gonzague était un maitre, tellement il était attaché à transmettre sa passion et un grand patriote, car tout ce qu’il a fait c’était pour qu’existe le football, le football féminin en l’occurrence et que la Sélection nationale remporte toujours des victoires.
De sa tombe presqu’anonyme dans laquelle il repose, il doit aujourd’hui plus qu’hier souhaiter que la rigueur et la quête d’excellence habitent tous les acteurs et les actrices du football féminin au Cameroun et surtout que « ses filles » s’épanouissent dignement dans le football.
Puisse la Fédération Camerounaise de Football commencer à rendre dignement hommage à ce pionnier par toute action qu’elle jugera utile, afin que la mémoire collective n’oublie pas !
Grégoire Owona,
Vice-président du Comité National Olympique et Sportif du Cameroun