Sports Features of Saturday, 19 August 2017

Source: camer.be

CAN 2019: les erreurs de Paul Biya qui compromettent le Cameroun

La mission de la CAF  au Cameroun a été reportée à une date ultérieure La mission de la CAF au Cameroun a été reportée à une date ultérieure

Tout le brouhaha généré par la mauvaise préparation du gouvernement camerounais en prévision de la Coupe d'Afrique des Nations (CAN 2019) va bien au-delà du football et de la CAN. Dans sa rhétorique démagogique autour du sport au Cameroun, le régime de Paul Biya a surtout fait de sa longue tradition de manipulation du football une véritable marque de fabrique.

Le sport au Cameroun est ainsi un réel opium pour les masses. Cependant l'organisation de la CAN 2019 se transforme en Citadelle du roi Christophe, un emblème de vanité, du gaspillage, et de l'illusion du pouvoir absolu comme dans La Tragédie du roi Christophe d'Aime Césaire. Aime Césaire a affirmé qu'il a écrit cette tragédie comme un avertissement contre les dictateurs Africains qui seraient tentés par la vanité, l’utilisation excessive de la force, et du pouvoir absolu sur leurs peuples pour leur autoglorification narcissique. Nous y sommes pleinement!

Cette réduction de l'état-nation et de la politique aux symboles et à la propagande sportive soulève des questions importantes.

Il est en effet important de noter que dans la politique mondiale et nationale, le sport a toujours représenté plus qu'un jeu. Il participe à la fois à la gloire romantique puis au caractère scientifique de l'État-nation. Le nombre de médailles olympiques et de victoires sportives transformées en produits de relations publiques à l’échelle nationale ne se compte plus. Ce fétichisme sportif - qui met notamment l'accent sur une idéologie politique dite d'inspiration rationnelle - car assise sur des réalisations ou performances (sportives) - veut en permanence nous démontrer combien les améliorations sociales et économiques sont très palpables, quantifiables, démontrables grâce aux exploits de nos héros sportifs...

C'est la consécration d'une rationalité qui s'appuie sur les impressions d'un progrès national, unificateur, tangible. Voilà comment la politique du chiffre devient le quasi baromètre du pouvoir, dont il use et abuse souvent pour se prévaloir d'une expertise scientifique, puis se draper d'un rôle messianique de gardien de l'unité nationale. La propagande gouvernementale fonctionne dès lors à plein régime, puisqu'elle s'auto-alimente de cette légitimité prêtée aux gouvernants dans leur rôle de garant de l'intérêt général et de la fierté patriotique.

Ceci dit cette politique des données et des chiffres est bien évidemment l'arbre qui cache la forêt.

À ce sujet le journaliste d'investigation et lanceur d'alerte camerounais Boris Bertold écrit “La CAN 2019 était pour Biya un moment d'affirmation de son pouvoir, de sa légitimité. Paul Biya a parfaitement conscience que le football est le seul instrument permettant de concilier les camerounais de tous les bords. Les trentenaires qui n'ont connu que Biya n'ont pas vu la CAN.

C'était un moment important pour lui. Mais la CAN est plus que jamais compromise et incertaine. Il aura commis deux erreurs: tout d'abord, il aura accepté les nouvelles règles de la Confédération Africaine de Football (CAF) avec le passage de 16 à 24 équipes. Ce qui non seulement ne correspond pas au cahier de charge de 2014; mais en plus de cela on ne change pas les règles du jeu au cours d'un match. Plus grave, dans sa logique de personnalisation du pouvoir et de construction dans l'imaginaire des Camerounais du fait qu'il soit indispensable pour le pays, il a pris l'engagement de tenir la CAN de 2019.

En cas de refus d'organisation, ce qui est planifié à la CAF, ce serait d'abord son échec personnel. Car Paul Biya a laissé son administration retarder tous les projets afin que certains puissent bénéficier de marchés de gré à gré. C'est trois (03) ans après l'attribution de la compétition qu'il créée un comité d'organisation. Ce n'est pas seulement un signe de laxisme, mais également qu'il ne contrôle peut-être plus rien et est devenu otage du système. Des milliards seront à nouveau engagés et seront remboursés par les générations futures.”

Deuxièmement, l'appartenance politique ne peut être réduite au sport. Que faisons-nous au sujet des citoyens qui se disent contre l’utilisation du sport à des fins de propagande politique? Quelles sont les répercussions sur le débat public? On sait que le sport est utilisé pour promouvoir les pratiques politiques et de genre, puis une culture spartiate martiale où le corps politique est essentiellement défini comme masculin et hétérosexuel. Par conséquent et à cause de ce privilège masculin et hétérosexuel, certains types de corps ont plus des valeurs sur les autres qui se trouvent stigmatisés, excommuniés, et même sacrifiés.

Il n'est pas surprenant que, dans un pays qui fétichise le sport et les athlètes, les personnes considérées comme efféminées, homosexuelles et transgenres sont discriminées par la loi. En effet l'homosexualité est un crime punissable par la loi au Cameroun transformant le LGBTQ en homo sacer qui signifie des personnes qui ne peuvent pas être tuées, mais dont les vies sont néanmoins disposables.

C'est pourquoi le mot «pédé» est couramment stigmatisé au Cameroun, une discrimination parfaitement légitimée par l'État. Dans la pratique, les lois anti-homosexuels normalisent la stigmatisation et la condescendance, et surtout les usages de la violence pour régler les différences politiques et de valeurs. Comme ces différences ne peuvent être réconciliées dans une tradition voulue totalitaire africaine de l’arbre à palabres, elles sont excessivement radicalisées.

Des penseurs tels que Michel Foucault, ont affirmé que les sociétés se révèlent beaucoup de la manière dont leurs minorités sont traitées. Au Cameroun, cela signifie l’impossibilité de faire face à un véritable désaccord sans recourir à la violence et à l'excommunication. Ce problème n'est pas seulement lié aux pratiques ou différences de genre, mais à la façon dont le gouvernement traite la divergence d'opinions et la dissidence politique soit avec les prisonniers politiques ou la minorité anglophone, mettant ainsi en évidence le décalage persistant dans ce pays entre les institutions formelles camerounaises et la conscience ordinaire des Camerounais.

Tout cela souligne une profonde crise de légitimité et la difficulté immense à créer des institutions formelles fiables correspondant aux aspirations ordinaires des Camerounais, puis aux idéaux inscrits dans leurs consciences. Ce processus ne devrait pas venir ou revenir uniquement aux politiciens dans une société qui se veut démocratique. Car les Camerounais ordinaires ne doivent pas oublier que le Cameroun est notre foyer national et que nous n'avons pas gagné l'indépendance contre les colons Allemands, Anglais, puis Français pour accommoder l'illusion d'un vieil homme et de sa cour de corrompus.