Autres Sports of Friday, 16 December 2016

Source: cameroon-info.net

Je réclame mes primes, je lance un appel à Biya - Ali Annabel Laure

Ali Annabel Laure, championne d’Afrique de lutte libre Ali Annabel Laure, championne d’Afrique de lutte libre

Tout en revenant sur les raisons de son échec aux JO 2016, la nonuple championne d’Afrique de lutte libre dénonce dans une interview les humiliations auxquelles elle est soumise. Elle lance un appel au Ministre des Sports et au Président de la République.

Cameroon-info.net (CIN): Vous êtes au pays depuis quelques jours. On imagine pour y passer les fêtes de fin d’année.

Ali Annabel Laure (Ali): Oui évidemment je vais prendre un peu de temps en famille et j’en profiterai pour aller à Garoua, ma ville natale.

CIN: Aux Jeux olympiques de Rio, vous êtes passées à deux doigts d’une médaille olympique. Qu’est-ce qui vous a manqué ?

Ali: Malgré la mauvaise préparation, j’étais vraiment déterminée à ramener une médaille olympique à mon pays. Mais lors de la finale de bronze, les arbitres n’ont pas joué leur partition. Non seulement j’avais une Russe comme adversaire, mais en plus j’ai reçu une pénalité 30 secondes après le combat. Tout ceci m’a un peu déstabilisée. Mais à la fin, j’ai tout donné et je sais que je suis «médaillable» olympique.

CIN: Le grand public n’a pas des nouvelles de vous depuis la fin de ces JO. Pourquoi ?

Ali: J’ai volontairement fait le choix de me mettre un peu en retrait après les JO, parce que j’ai profondément été blessée avant et pendant cette compétition, j’étais en fait dans l’amertume.

CIN: Qu’est-ce qui a provoqué votre amertume ?

Ali: Tout a commencé avant les JO. Le Comité olympique nous a demandé de proposer des programmes de préparation budgétisés. J’ai fait le mien. Je suis venue au pays, mais ce programme n’a jamais été respecté. J’étais obligé de rentrer en Côte d’Ivoire où j’ai payé un jeune avec qui je me suis entraînée. Mon époux m’a également soutenue, mais à un moment, j’ai d’abord tout arrêté.

Ensuite, à l’approche des JO, je suis revenue au Cameroun. On nous a dit que tout le monde devait se rendre à Rio un mois avant la compétition. Je me suis opposé en expliquant que là-bas, je n’aurai pas de partenaire d’entraînement. Mais ils n’ont rien voulu entendre. C’est ainsi que je me suis retrouvée à Rio avec mes deux coéquipières. Nous n’avions que l’entraîneur national comme partenaire d’entraînement. J’ai donc déprimé et je suis tombé malade. Pendant deux semaines, j’ai fait du palu.



CIN: Cela signifie que vous n’étiez pas dans les conditions de faire la performance ?

Ali: C’est vrai que j’étais déterminée, mais je ne pouvais pas. J’étais abattue physiquement et moralement. D’abord parce qu’on a passé le temps à me dire «vous êtes vielle et marié» ! Or, moi je sais que je ne suis pas la plus vieille de la délégation. C’est juste que j’ai connu une rapide ascension en cinq ans. En plus, je ne sais pas si c’est un tort de se marier. Par ailleurs, on a donné des bourses à des lutteuses moins performantes que moi sans m’en donner.

CIN: À quel niveau donc se situe la prise en charge de l’État pendant les JO ?

Ali: Pour préparer la compétition, nous avons eu droit à des bourses. Mais elles étaient insuffisantes pour prendre en charge un athlète de haut niveau qui travaille avec plusieurs personnes. Conséquence, je me suis battue toute seule avec l’aide de mon mari.

CIN: Pendant votre maladie à Rio, que vous ont dit les responsables de la délégation camerounaise ?

Ali: Je n’ai vu personne en dehors de mon entraîneur. Je suis allée rencontrer un kinésithérapeute du Ministère des Sports qui était sur place. Nous sommes allés ensemble au village des Jeux où j’ai pu avoir des paracétamols.

CIN: Vous avez le sentiment qu’on vous en voulait particulièrement ?

Ali: Je ne sais vraiment pas, puisque je ne suis pas régulièrement au pays. Mais j’ai été choquée lors de ma finale bronze. La seule du Cameroun à ces JO. Excepté le ministre Grégoire Owona, il n’y avait aucun officiel dans les tribunes comme on le voyait avec les autres délégations. Ce sont des Brésiliens qui agitaient le drapeau du Cameroun. J’en profite d’ailleurs pour dire merci au ministre Grégoire Owona qui m’a toujours affiché son soutien. Il m’a toujours dit qu’il comptait sur moi. Malheureusement, mes ennemis ont eu raison de moi.

CIN: Vous parlez d’ennemis…

Ali: Oui, puisque des gens sont contre toi sans raison. Je ne sais pas si ce sont mes résultats qui énervent. Ils ont eu raison de moi, mais je suis heureuse parce que j’ai réalisé la meilleure performance du Cameroun alors que les gens ne comptaient pas sur moi.

CIN: À vous entendre, vous avez encore besoin de prendre du recul.

Ali: À un moment, je me demande quel est mon bilan en 12 ans. Même quelqu’un qui est au quartier aurait réalisé quelque chose durant cette période. J’ai fait la médaille d’or aux championnats du monde, je n’ai pas été payée. Sur les neuf titres de championne d’Afrique, je n’ai jamais reçu les primes de 6 titres. J’ai payé mon billet d’avion pour aller en Algérie participer aux qualifications pour les JO, je n’ai pas été remboursée. Et lorsque je suis allée au Ministère des Sports pour réclamer mon argent, un responsable m’a dit «si tu m’as vu, c’est que tu as vu le ministre». Je sais que le ministre n’est pas informé, car c’est un homme qui aime le sport et les sportifs. Si je l’avais rencontré, ma blessure serait peut-être cicatrisée.

CIN: Votre mot de fin ?

Ali: Je lance un appel au Président de la République. C’est lui-même qui avait dit qu’il n’y a pas de sport roi et de sport mineur au Cameroun. Je souhaite, au regard de ce que j’ai fait, qu’il puisse penser à moi. Juste une petite récompense, ça me ferait plaisir. Il vaut mieux le faire quand je suis encore en vie.