Sports Features of Friday, 10 February 2017

Source: Edouard KINGUE

Les Lions: indésirables hier, indiscutables aujourd'hui

Les Lions à l'ouverture de la CAN TOTAL 2017 Les Lions à l'ouverture de la CAN TOTAL 2017

L’Afrique a jeté sur les routes de l’aventure des milliers de jeunes sans lendemains dans leurs pays respectifs. Il y a le gros de la troupe venue grossir les rangs de la diaspora, qui exerce divers métiers ; ou n’exerce pas mais hante l’underground urbain. Il y a aussi des dizaines, voire des centaines de footeux qui espéraient comme Samuel Eto’o, se faire un nom dans la jungle sportive occidentale.


Certains en sont morts les armes à la main, comme Max Vivien Foé, puissant baroudeur, qui s’est écroulé en mondovision lors d’un match de la coupe des confédérations en France. Il y a eu aussi le drame du joueur Albert Ebossè qui a fini sa vie caillouté sur un stade d’Algérie. D’autres survivent en tapant au ballon dans des clubs de seconde zone. Découragés, certains sont rentrés au pays ou se sont fondus dans la masse anonyme européenne de chercheurs d’emplois et débrouillards, gonflant les rangs de la diaspora. D’autres enfin, faute de mieux, viennent de réussir l’exploit de se faire connaître en se hissant sur le toit de l’Afrique du football.


Car en fait, ce qu’il faut dire, c’est que c’est la 5e roue du carrosse qui pour une fois s’est distinguée. Comme béquilles, on n’y croyait pas. Les vainqueurs figuraient plus ou moins dans les petits papiers d’un ensemble plus ou moins homogène de joueurs connus, titularisés dans l’esprit et dans la lettre comme ossature des lions indomptables. Du reste, les encadreurs ne leur donnaient pas une espérance de vie moyenne de plus de deux matches, un peu comme les Camerounais, codés à 47 ans d’espérance de vie, qui miraculeusement font des prolongations et atteignent, certes minoritaires, à la surprise générale et tant bien que mal, 50, 60, 70 voire 80 ans d’existence, entre le chômage, les salaires de catéchistes, l’insalubrité, les maladies endémiques, l’accès aléatoire aux soins de santé primaire et à l’eau potable pour tous, les dangers de l’axe lourd, etc.


Mais pour ces laissé-pour-compte éternels du banc de touche, c’était l’occasion ou jamais de se faire remarquer, gagner en montant en puissance et arracher ce qui leur revient de droit comme prime à la survie. Voici donc des prolétaires sportifs devenus des millionnaires sociaux. Ces héros d’un dimanche ont fait vibrer tout un peuple, le temps d’oublier que des jeunes compatriotes comme eux, sont privés d’école, d’internet, de foot et du droit de les voir jouer, arcboutés sur leur défi, décidés et téméraires au front africain du Gabon, se battant becs et ongles, la foi bandée comme un arc, intrépides gladiateurs qui savent qu’une seconde chance ne leur sera peut-être jamais offerte.


Les 23 héros de la Can luttaient en réalité contre les injustices d’hier et d’aujourd’hui. Ils écrivaient leur témoignage sur les tablettes de l’histoire. C’était beau, c’était poignant. Ils récitaient du ‘Césaire’ avec le ballon, ils parlaient à l’Etat camerounais, au pouvoir : « Donnez-moi la foi sauvage du sorcier Donnez à mes mains puissance de modeler Donnez à mon âme la trempe de l’épée. Je ne me dérobe point. Faites de ma tête une proue et de moi-même, mon cœur, ne faites ni un père, Ni un frère, Ni un fils, mais le père, mais le frère, mais le fils, Ni un mari, mais l’amant de cet unique peuple.


Faites-moi rebelle à toute vanité, mais docile à son génie Comme le point à l’allongée du bras ! Faites-moi commissaire de son sang. Faites-moi dépositaire de son ressentiment Faites de moi un homme de terminaison Faites de moi un homme d’initiation Faites de moi un homme de recueillement mais faites aussi de moi un homme d’encensement. Faites de moi l’exécuteur de ces œuvres hautes. Voici le temps de se ceindre les reins comme un vaillant homme. Mais les faisant, mon cœur, préservez-moi de toute haine » Et pendant ce temps, comme écho à la prière victorieuse des Lions indomptables, Collins Nji, un jeune Camerounais de 17 ans vient de remporter le premier prix de la ‘Google Hacking Compétition’.


Le concours était destiné à trouver un moyen de détruire les vulnérabilités dangereuses d'Androïde avant que les pirates ne les exploitent à l'état sauvage. Le concours, baptisé « Prix Project Zero », est dirigé par Google, une équipe de chercheurs de sécurité dédiée à documenter les bogues critiques et de faire du Web un endroit plus sûr pour tout le monde. Collins Nji, privé d’internet dans sa ville, qui remporte la rondelette somme de 200.000 dollars soit environ 100 millions cfa est élève à la Government Bilingual High School Bamenda....


Dans une zone où internet est coupée actuellement, c’est un exploit chargé de symboles. Collins Nji est le premier Noir africain à gagner ce prix alors que tout l'univers Google est au courant de cette situation au Cameroun... En pleine semaine de la jeunesse, les héros de la Can seront trimballés dans toutes les places fortes du Cameroun ; ils seront brandis comme leur trophée remporté de haute lutte, pour la propagande officielle camer.be. Le discours sera, à n’en point douter, orienté vers le triomphe de la politique et des idéaux du renouveau, donc «l’incontestable succès » est aujourd’hui matérialisé par le football, exutoire à tous les déboires sociaux.


Rien ne sera dit sur Collins Nji, le premier africain et Camerounais gagnant du Grand Prix du concours Google Code. Ce sera politiquement incorrect de dire que les premières places que l’on refuse à nos compatriotes anglophones leur sont mondialement reconnues. La vérité n’est-ce pas, est ‘indouatable’ comme les lions ; elle vient d’en haut et la plèbe est exclue du festin national Bon mercredi et à mercredi