Infos Sports of Wednesday, 21 August 2024

Source: Le Messager

Marc Brys, les origines de Samuel Eto’o fils et les classes populaires comme des relents d’indigénat

Marc Brys et Samuel Eto'o Marc Brys et Samuel Eto'o

PARU DANS LE MESSAGER DE CE JOUR

MARC BRYS, LES ORIGINES DE SAMUEL ETO’O FILS ET LES CLASSES POPULAIRES COMME DES RELENTS D’INDIGÉNAT

Par Gaston KELMAN

Le récent choix de l’entraîneur des Lions indomptables, l’équipe nationale de football du Cameroun par le Ministère des sports a entrainé les contestations de la Fédération Camerounaise de Football qui s’est sentie lésée dans ses prérogatives. Des hommes de bonne volonté au sommet de l’état et au sein des instances mondiale et africaine de football ont tout mis en œuvre pour ramener la paix des braves. Ca allait aussi un peu dans tous les sens mais l’honneur semblait sauf. Puis il y a quelques jours, le pays a été ébranlé par une interview que l’on prêtait à l’entraineur de notre Onze national. Les propos étaient tellement inattendus que personne n’a cru en leur authenticité. Je me souviens de cette amie, grande avocate qui vitupérait à qui mieux mieux, n’imaginant pas que des gens puissent croire que ce texte n’était pas un montage grossier. Tout ceci se passe durant le week-end du 17/18 août. Puis lundi, la presse a certifié l’authenticité de ces propos. Comme beaucoup d’autres, je suis tombé de bien haut, en me disant que l’on était tombé bien bas. Des propos de l’entraineur des Lions, on a généralement retenu la salve contre le looser tous azimuts Eto’o fils et la girouette Rigobert Song. Des propos d’une violence inouïe. Je ne suis pas juriste, je ne sais pas si ces allégations sont de la diffamation. Je ne sais pas si les mis en cause ont envie de porter cette affaire auprès de la justice. Mon intérêt est ailleurs. Parce que je suis profondément concerné. Parce que vous êtes concernés. Dans ce flatras indigeste d’injures basses et de commérages nauséeux – qui lui a dit ce qui se passait dans les vestiaires avant son arrivée -, il se dégage une phrase lourde de sens et d’arrière sens. La colonne de voute de son propos. Parlant de Samuel Eto’o fils, l’entraîneur assène que « vu ses origines, il est soutenu par les classes populaires ». Pouvais-je rester sourd à tant de souffrances bafouées.

MARC BRYS ET LA MALÉDICTION ORIGINELLE DU COLONISÉ

Quand M. Brys en appelle aux origines de Samuel Eto’o fils, le brave homme ne sait évidemment pas où il met les pieds. On a dû lui en mettre plein la tête sur la modestie des origines du président de la Fécafoot, et sans filet il s’est mis à jouer les funambules sur la corde glissante de la définition des classes sociales et des origines. Remontent en mon esprit les relents d’un passé colonial où la Belgique avec le roi Léopold II en a fait certainement plus que tous les autres colonialistes dans sa propriété privé le Congo qui porte son nom, et que le Belge remue comme un ingénu. Quand le colon aborde l’Afrique, pour dominer le continent noir, il doit déshumaniser la population. Mais il doit surtout anéantir l’autorité locale pour se substituer à elle. Les rois deviennent des roitelets bêtes et lubriques. Même Batouala n’échappe pas à cette stigmatisation, sous la plume du négroïde René Maran mais essentiellement gouverneur colonial. Les roitelets sont souvent passés au fil de l’épée. On récupère leur place et le plus petit colon dès lors se croit supérieur aux rares monarques noirs survivants et transformé en chef. Les royaumes d’hier deviennent villages ou tribus, les palais et les cours, des chefferies. Aujourd’hui encore, certains peinent à sortir de cette vision. Pourquoi croyez-vous que l’exposition du Musée du Quai Branly ait été baptisée Chefs et chefferies Bamiléké ! Il s’agit pourtant de royaumes et de principautés. S’agissant de Monaco, Luxembourg, Andorre ou Lichtenstein, personne ne parlera de chefferie ! Leurs monarques n’ont jamais été des chefs, mais des princes, des rois.A partir de ce moment, l’univers colonial se repartit en deux groupes : les colons de la classe supérieure d’un côté et les indigènes sans distinction de l’autre, soumis au régime de l’indigénat. Ce sont ces classes populaires auxquelles l’inconscient de M. Brys le ramène. En effet, qui en Afrique ne serait pas de la classe populaire à ses yeux ? De quelles origines d’Eto’o fils parle-t-il donc !

LA THÉORIE DES ORIGINES SELON MARC BRYS

Les origines de Samuel Eto’o fils, on peut en suggérer trois. Le président de la Fécafoot est camerounais, bassa et de New-bell/Mvog-ada. Mettons de côté les origines bassa. Elles n’ont pas de l’importance dans les propos de M. Brys. Et pour aller vite, rappelons – c’est ce que l’on a soufflé a l’entraîneur - que le jeune homme est d’ascendance pauvre, issu d’un quartier et d’une classe populaires. Ceux qui ont briefé M. Brys, n’avaient pas assez de perspicacité pour comprendre le décalage conceptuel qu’il y a entre eux et leur chargé de mission.

LES ORIGINES, MODÈLE OCCIDENT.

Une publicité récente affichait sur les murs de France qu’il fallait « six générations pour sortir de la pauvreté ». Plus clairement, cela voulait dire qu’il fallait six générations pour partir de la classe populaire et entrer dans la classe moyenne. Et quand l’on sait qu’une génération dure en moyenne vingt-cinq ans… En effet, la société occidentale est ainsi stratifiée. Elle obéit à ce que Bourdieu a appelé la reproduction, une assignation a résidence originelle, le fils étant condamné à reproduire le modèle de son père. L’enfant d’ouvrier sera donc ouvrier. On fera tout pour le maintenir à ce statut et de temps en temps, quelques privilégiés progresseront et après six générations… Ainsi, Marc Brys ne verra en Eto’o que le fils des quartiers populaires, mais aussi d’une origine subalterne de façon congénitale, héritée de son père subalterne et de son grand-père colonisé. Et c’est ici que l’homme est égaré par son propre atavisme, son propre héritage.

LE RÊVE AMÉRICAIN ET AFRICAIN.

En Afrique, le colon a ramené toute la population dominée à l’état d’indigènes uniformes, appartenant aux classes subalternes. C’est alors qu’il se produit au sein de cette société résiliente, une mutation d’une puissance phénoménale. Osons une comparaison avec un autre univers. Les migrants qui affluent de la vieille Europe vers les Amériques viennent d’univers sociaux divers : classes populaires, classes moyennes, quelques fleurons de l’aristocratie. Mais en abordant le nouveau monde, l’on jette à la mer ses titres de noblesse, sa morgue de bourgeois et ses complexes de serf et de prolétaire. Ici, c’est la force et l’ingéniosité qui vont faire la différence et non les origines et la naissance. On observera un phénomène similaire avec l’Afrique post coloniale. Aujourd’hui comment faire la part dans l’élite africaine, entre ceux qui seraient d’essence populaire et les autres ? Ce n’est pas possible puisque ces classes ont été gommées par le colon pour n’en laisser qu’une : l’indigène. Le président de la république du Cameroun est fils de catéchiste agriculteur et il en va de même pour ses homologues des pays voisins, tous issus de classes similaires. La bourgeoisie de notre pays a été créée par des analphabètes bourrés de talent. Lisez donc A la mesure de mes pas, la biographie de Jean Samuel Noutchegouin et vous verrez comment en une génération, on part du petit étal du marché de Bafoussam des années 1940 aux sommets de la haute finance mondiale. Le père de Henri Hogbè Nlend l’inventeur de la théorie mathématique de la Bornologie savait peut-être calculer le prix d’un sac de cacao, mais certainement pas plus. Manu Dibango le roi du saxophone était fils d’un commis aux écritures colonial. Les extraits des livres de votre serviteur, fils d’ouvrier spécialisé analphabète, sont aujourd’hui dans les manuels scolaires de France. En théorie, la société africaine n’obéit donc pas au modèle de la reproduction, mais à celui du rêve américain, de la méritocratie républicaine. Il en va ainsi pour Samuel Eto’o fils que l’on veut reléguer à la populace. Rappelons aussi que le quartier populaire que je partage avec les parents du président de la Fécafoot compte aujourd’hui en une génération, un général, des colonels et autres officiers supérieurs, des professeurs d’université, des grands capitaines d’entreprise et des cadres en tout genre, tous issus de parents ouvriers, ou mieux, indigènes.

SAMUEL ETO'O ET LES CLASSES POPULAIRES.

Le président de la Fécafoot est la seule star planétaire africaine, toutes disciplines – sports, sciences, arts et lettres – confondues. A part lui et Nelson Mandela, l’Afrique n’a pas engendré d’autre personnalité aussi consensuellement adulée. Il est aussi la personnalité la plus aimée des Africains. La popularité d’une star planétaire n’a pas de frontière sociale. Cette icône est acclamée dans la rue par le peuple sans distinction de classe. Elle est accueillie dans les palais, enseignée dans les amphithéâtres. Samuel Eto’o fils a porte ouverte auprès de toutes les têtes couronnées du monde, sa sainteté le pape ou l’inaccessible Vladimir Poutine. On a vu le bonheur du président français à partager une partie de football avec lui. Les angoisses existentielles d’un quidam ne sauraient l’assigner aux classes populaires dont il serait originaire.

ET QUI EST L'ENTRAINEUR DES LIONS INDOMPTABLES ?

Je me demande combien de Camerounais connaissaient l’existence de cet homme avant son introduction fracassante dans notre pays en porcelaine. Devant le scepticisme des Camerounais pour ce choix, des soutiens inattendus dont on se questionne sur les motivations, ont avancé des arguments ubuesques. On a dit que le Cameroun avait gagné ses compétitions avec des entraîneurs totalement inconnus. Evidemment, si on se réfugie derrière la superstition, on peut faire de ce modèle la règle intangible. Mais on peut aussi se dire qu’une équipe phare comme les Lions indomptables du Cameroun, cinq fois championne d’Afrique, sept fois en phase finale de la coupe du monde et médaillée olympique, peut prétendre à des entraîneurs plus flamboyants. L’homme dit avoir atteint 62 ans. Il nous apprend qu’à cet âge, « l’on dit les vérités aux gens pour les aider à évoluer ». On sait pourtant que l’une des premières règles de la sagesse, c’est que l’on ne fait pas le bonheur des gens malgré eux. Je ne vais pas entraîner M. Brys dans la philosophie en lui demandant «qu’est-ce que la vérité». Mais je vais me demander s’ileExiste un âge qui accorde un quelconque droit à la moralisation ! La sagesse littéraire et populaire est parsemée de références sur cette question. Victor Hugo disait que « soixante ans passés font l’homme plus sage et plus sérieux ». Puis convaincu très vite de la hardiesse de son propos, il apportait ce bémol, «du moins on le dit ». D’autre part, nous savons aussi qu’aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années. Écoutons cet autre son de cloche. Pour le chanteur français Georges Brassens, « l’âge ne fait rien à l’affaire, quand on est con, on est con ». Croire que l’âge vous confère le pouvoir de dire la «vérité aux gens pour les aider à évoluer», même quand ils ne vous ont rien demandé, relève en effet de la connerie. Peut-être l’entraîneur ne connaît pas l’homme de Sète, mais le Belge ne saurait ignorer Jacques Brel son compatriote. Les personnes qu’il assimile aux bourgeois, seraient «comme des cochons, plus ça devient vieux, plus ça devient bête… plus ça devient con ». Le grand Jacques ne se trompe pas. Et les propos bourgeois de l’entraineur qui renvoie Samuel Eto’o fils aux classes populaires pourraient nous obliger à dire, si nous empruntions sa phraséologie, que son compatriote parle de lui. Je suis un disciple de Frantz Fanon et d’Aimé Césaire. Je suis de la génération qui a grandi sous la tutelle du Cahier d’un retour au pays natal, du Discours sur le colonialisme, et de Peau noire, masques blancs. Les héritiers de cette ère peinent à en sortir, les victimes certes, mais surtout ceux du gang des privilégiés. De part en part, peut-être malgré eux, ils lâchent un rôt pestilentiel, un borborygme nauséeux. Cette interview en est un. Je me pose une seule question. Aurait-il tenu ces propos dans un journal camerounais ? Ou alors, question subsidiaire, se sachant en terrain propice, entre pairs, il a pu se lâcher et dire ce qu’il pense du pays qui l’emploie ? Interrogation purement rhétorique. Je n’ai ni haine ni colère envers personne. Parfois un peu de mépris ou de la pitié, je ne sais - que jugule bien rapidement mon humanisme –, face au regain saisonnier et maladroit de velléités civilisatrices, que ces velléités montent de Montpellier ou de Bruxelles. Alors, il m’incombe d’apporter ma contribution au débat, de tenter une explication. De proposer mon point de vue quand je constate des déviances cauchemardesques. Mais peut-être je vais me réveiller et découvrir que ce n’était qu’une histoire belge.