Sports Features of Monday, 7 August 2017

Source: camfoot.com

Règlement de compte entre Ahmad Ahmad et Hayatou

Le président de la CAF, Ahmad Ahmad et Issa Hayatou Le président de la CAF, Ahmad Ahmad et Issa Hayatou

Alors que le gouvernement vient de réaffirmer la détermination du Cameroun à organiser la CAN 2019, les récentes déclarations du président de la CAF qui prennent à contre-pied cet objectif relancent le débat sur un acharnement aux allures d’un règlement des comptes.

L’organisation de la CAN 2019 confiée au Cameroun met en contact direct deux principaux interlocuteurs : d’une part le gouvernement à travers la Fédération Camerounaise de Football et d’autre part, la Confédération Africaine de Football (CAF) qui doivent être en phase pour un meilleur suivi. On croyait assister à une sorte d’entente cordiale mais à quelques heures d’intervalles, des sons discordants sont venus semer le doute dans les esprits.

A écouter chacune des deux parties, on a désormais l’impression d’assister à un langage de sourds, tant leur communication semblent suivre des voies diamétralement opposées. Lors de sa conférence de presse du 4 août 2017, le ministre de la Communication, Issa Tchiroma Bakary, accompagné pour la circonstance du ministre des Sports et de l’Education Physique, Bidoung Mkpatt et du président de la Fédération camerounaise de football, Tombi à Roko Sidiki, a réaffirmé une fois de plus la ferme détermination du Cameroun à accueillir dans les meilleures conditions, la 32è édition de la CAN. En rendant au passage « hommage à la Caf » que dirige le malgache Ahmad Ahmad.
Comme pour le remercier pour tant d’égards, ce dernier aurait tenu des propos assez durs, voire injurieux à l’endroit du Cameroun qui à ses yeux, n’aurait pas actuellement la capacité « d’organiser une CAN même avec 4 équipes ».

Si ces propos qui auraient été tenus devant les médias du Burkina Faso sont confirmés, cela reviendrait à dire que la CAF a des positions déjà arrêtées depuis la tenue du récent Symposium au Maroc. Il peut sembler suspect en effet qu’un dirigeant sportif d’un tel niveau s’exprime de la sorte en tirant des conclusions péremptoires à la veille d’une mission d’inspection de la CAF prévue ce mois au Cameroun. Ce qui laisse penser qu’on est désormais dans un vaste théâtre d’ombres où le jeu et les rôles semblent attribués d’avance. Ces propos à l’emporte-pièce ne sont pour certains observateurs que l’aboutissement d’une stratégie bien pensée. A défaut de retirer directement la compétition au Cameroun, on a préféré changer les règles pour rendre le cahier des charges insupportable pour le pays-hôte. Face à la détermination de ce dernier à tenir ses engagements, on a mis sur pied un comité d’experts « indépendants » pour l’inspection des infrastructures avant de pouvoir asséner le coup fatal.

Décidément, il y a comme quelque chose d’insolite dans le processus d’organisation de cette CAN 2019 qui semble servir de cobaye en tous points de vue. Qu’on en juge : le cahier des charges initial a été remis en cause, le nombre d’équipes qualifiées est passé de 16 à 24. Le nombre de sites d’accueil de 4 à 6, avec autant de stades aux normes requises. Le tout avec effet immédiat et sans concertation préalable avec le pays d’accueil. Les critères de qualification viennent d’être également modifiés alors qu’on s’acheminait vers la troisième journée dans l’ancienne formule. Et comme si on voulait piéger davantage le Cameroun, la mission d’inspection des infrastructures qui relevait auparavant de la CAF vient d’être confiée à un comité d’experts (en hôtellerie, sports, santé, etc.) jugé plus « indépendant ».

Dans le même temps, des noms de pays circulent pour remplacer le Cameroun au cas où…Ceux qui ont assisté aux CAN 2015 et 2017, respectivement en Guinée Equatoriale et au Gabon savent pertinemment qu’aucun de ces deux pays ne possède plus d’infrastructures hôtelières ou sanitaires que le Cameroun. Le débat passionné autour de l’organisation de la de la Coupe d’Afrique des nations met en lumière la force d’attraction de la CAN considérée désormais comme le troisième événement sportif du monde en termes d’audience. En une soixantaine d’années d’existence et grâce à la diligence d’un Camerounais, la CAN est devenue une institution suffisamment respectable pour susciter moult convoitises. Mais on n’avait jamais assisté auparavant à un tel déploiement médiatique, à un tel amoncellement de vérités et de contre-vérités au sujet de l’organisation d’une compétition aux dates et règles pourtant connues à l’avance. Le brouhaha fait actuellement autour de la tenue ou non de la CAN 2019 au Cameroun s’apparente à une curieuse exception dont personne ne semble mesurer jusqu’ici ni la portée ni les sous-entendus. Les masques vont-ils bientôt tomber ?

Rigueur ou acharnement ?

Certes, en mettant la pression sur le pays organisateur pour accélérer les chantiers, la CAF est dans son rôle de gendarme. Mais faut-il pour autant fouler aux pieds les précautions diplomatiques élémentaires ? Au-delà des problèmes d’individus ou d’égocentrisme, les Africains devraient apprendre à respecter leurs valeurs. Le Cameroun malgré ses nombreuses carences (lenteurs administratives, corruption, incivisme) que ses citoyens sont les premiers à dénoncer, n’est pas un pays comme les autres en matière de football.

On ne peut pas tenir des propos aussi désobligeants à un pays qui figure au deuxième rang du palmarès continental (cinq trophées remportés), qui a donné ses lettres de noblesse au football africain sur l’échiquier international, tant en Coupe du monde qu’aux Jeux olympiques et dont les footballeurs figurent parmi les plus emblématiques d’Afrique. Peut-on imaginer, un seul instant, le Brésil, l’Allemagne ou l’Italie trainés dans la boue, traités avec autant de mépris et de condescendance par leurs confédérations respectives. Il n’y a qu’en Afrique que le dernier de la classe se croit en droit de donner des leçons de pédagogie au premier. Ceux des pays africains qui se réjouissent déjà des malheurs du Cameroun se rendent-ils compte qu’ils seront confrontés tôt ou tard au même chantage ? A quelques rares exceptions près, peu de pays du continent sont actuellement en mesure d’accueillir une compétition à 24 équipes sur 6 sites différents et la CAN risque de devenir à la longue l’affaire des « grands pays ».

En Afrique, on ne compte plus les pays qui renoncent pour des raisons économiques ou autres, à l’accueil des compétitions sportives souvent de moindre envergure. On peut dès lors s’étonner que le Cameroun qui maintient sa candidature soit traité de la sorte. Par ailleurs, en voulant favoriser la participation d’un plus grand nombre de pays à la CAN, il y a un risque de tirer la compétition vers le bas. Encore que si tous les pays membres de l’Union Africaine participaient au tournoi final, les équipes de tradition finiront toujours par sortir du lot.

Avec le recul, on a comme l’impression que dans cette affaire, le Cameroun est quelque peu victime de sa volonté quasi-congénitale à vouloir toujours arrondir les angles, de jouer à l’apaisement, de calmer le jeu, d’éviter l’affrontement et de maintenir en toutes circonstances des relations cordiales avec le nouvel exécutif de la CAF.

A contrario, l’interlocuteur d’en face semble privilégier le registre de la désinformation, de la provocation, voire du mépris. La CAF ne doit pas perdre de vue que n’eût été la retenue des autorités camerounaises, l’affaire aurait déjà pris une autre tournure. Au lieu de continuer à jeter l’huile sur le feu, n’est-il pas plus sage de reconnaître que dans la situation actuelle, les tords sont partagés et qu’il faut faire preuve d’indulgence ? Le changement des règles du jeu en cours de route ne s’est jamais vu dans une compétition organisée par la FIFA. Même l’augmentation à 48 du nombre de pays qualifiés pour la Coupe du monde ne prendra effet qu’à partir de l’édition de…2026 ! Pourquoi vouloir tout faire tout de suite dans un continent pauvre et sous-équipé ?

Travail et sérieux

Je vois déjà certains nous traiter d’avocat du diable sur ce forum. Comprenons-nous bien. Il ne s’agit pas de défendre l’indéfendable. Nous ne disons pas que tout va bien dans le meilleur des mondes. Certes, le Cameroun dispose déjà de trois stades fonctionnels à Yaoundé, Limbe et Bafoussam mais il en faut plus. En matière d’infrastructures essentielles (deux grands stades à construire et deux autres à réfectionner, une vingtaine de stades d’entrainement gazonnés, des voiries urbaines à réhabiliter, des axes routiers à refaire entièrement…) le Cameroun accuse beaucoup de retard et doit mettre des bouchées doubles pour le rattraper.

Mais ce n’est pas une raison pour se décourager et remettre en question sa capacité d’accueil dès maintenant. Compte tenu du fait que les principales infrastructures doivent être disponibles au moins trois mois avant le début de la compétition, le comité local d’organisation à mettre sur pied devra utiliser pleinement les 20 mois qui restent pour se réajuster. Jamais dans l’histoire des compétitions sportives internationales, on n’a jamais dessaisi un pays de l’organisation deux ans environ avant l’échéance. L’initiative vient d’ailleurs souvent du pays hôte qui peut renoncer de lui-même pour diverses raisons. C’est ce que le Maroc a fait en 2015, à trois mois de la tenue d’une CAN reprise en catastrophe par la Guinée Equatoriale. Les officiels de la CAF sont-ils devenus subitement amnésiques pour croire en la sincérité d’un pays qui les a mis en difficulté il n’y a pas très longtemps ?

Tout en restant conscients de l’immensité des chantiers à parachever et de l’ampleur des défis à relever dans un contexte sécuritaire particulier, aucun Camerounais ne saurait se réjouir d’un éventuel retrait de la CAN 2019 dont les effets bénéfiques sont incalculables. Nous n’en sommes pas encore là. Il faut rester optimiste mais vigilant car à l’allure où vont les choses, tout est possible. En attendant les conclusions de la toute prochaine mission d’inspection « indépendante » de la CAF, il faut accélérer tous les travaux prévus. Seul le travail et le sérieux pourront confondre et convaincre tous ceux qui mettent en doute la détermination des pouvoirs publics.