Le « canular » servi par le magazine Jeune Afrique au prétexte du poisson d’avril couvre, au delà de la forme et donc de l’idée sarcastique, une certaine réalité à défaut d’une réalité certaine. C’est qu’il autorise, mieux donne corps à une grille de lecture plurielle centrée sur Samuel Eto’o et surtout adossée à son caractère fonceur et impétueux, son inconditionnalité à toujours aller au-delà, à repousser les limites du raisonnable et de l’ordinaire. Bref, la démesure caractérielle de l’homme.
Que Jeune Afrique ait jeté son dévolu sur le phénoménal footballeur camerounais n’est pas le fruit du hasard, mais au contraire constitue la preuve patente, s’il en était encore besoin, de l’affirmation ou devrions nous dire, de la confirmation du « rapport » à la gestion du pouvoir et par conséquent les relations de Samuel Eto’o avec ses ainés, ses semblables, en un mot. Un exercice dans lequel l’ex international s’est très souvent illustré avec autorité et radicalité et parfois pertes et fracas laissant alors se répandre dans l’opinion, l’image d’un homme absorbé et trempé dans un désir chronique et insatiable de pouvoir. Ce que nous faisons parlant beaucoup plus que ce que nous disons, Samuel Eto’o ne saurait donc être étranger à l’orientation idéologique qui sous-tend l’interview fictive réalisée et dans laquelle il est nolens mis à contribution.
Que ce soit bien clair, tout camerounais en âge (35 ans révolus à la date du scrutin) est légitimement apte à briguer la magistrature suprême et l’icône nationale en compte plus sur ses épaules. Autrement, il n’y a normalement pas de quoi en faire tout un ramdam. Et pourtant le goléador, dans son droit, mais alors le plus absolu a servi un droit de réponse en protestation à cette sortie médiatique, qu’il qualifie d’abjecte, d’irrespectueuse et d’inopportune.
Et en parlant d’opportunité, ou des faveurs que peut offrir le contexte actuel au Cameroun, l’on est en mesure de s’arrêter, ne fusse qu’un moment, pour constater que les signes fondant le canular de Jeune Afrique ne manquent pas d’épaisseur.
Premièrement, une volonté d’homogénéisation se dégage en référence à la brillante élection de Georges Opong Weah comme président de la république du Libéria. Un président dont les similitudes avec Samuel Eto’o sont bien prononcées notamment dans leur trajectoire mais surtout dans la manière par laquelle ils ont conquis le monde et par là même se sont forgé une popularité et une notoriété incontestable autant à l’intérieur qu’à l’extérieur de leur pays natal.
Deuxièmement et cet aspect milite davantage pour Samuel Eto’o ou pour Jeune Afrique selon, le peuple camerounais ne cesse au quotidien d’exprimer sa soif de changement, de décrier un pouvoir gérontocrate, de réclamer du sens neuf, d’appeler de tous ses vœux à pouvoir s’identifier dans les gouvernants, à jeter en pâtures tout un gouvernement efficace dans la corruption et les détournements de deniers publics. Des récriminations qui font plutôt l’affaire du garçon de New bell, lui qui se plaint très souvent des verrouillages actifs orchestrés en très haut lieu et incompatibles avec sa volonté d’investir davantage au Cameroun afin de rendre à sa patrie ce qu’elle lui a offerte en l’abritant à sa naissance. A ceci faut-il ajouter l’incertitude qui plane sur la présidentielle à venir. L’âge du candidat naturel du RDPC parti au pouvoir était une donnée biologique et non politique et par conséquent se soustrayant à la volonté aussi choriste qu’angélique de cette formation à motiver un énième mandat de leur champion toutes catégories réunies.
Et enfin et non des moindres, l’ex pichichi dispose des moyens financiers colossaux, le nerf de la guerre étant une denrée ô importante en politique.
Ainsi dressé, selon Jeune Afrique et France 24 certainement, Samuel Eto’o ferait un excellent challenger à Paul Biya pour décrocher le saint graal. Sauf que cette orientation est guidée par une platonicité inouïe, la réalité au Cameroun étant tout autre. C’est que le peuple camerounais sait faire la part des choses, dissocier l’émotion de la raison, et surtout le niveau de maturation politique est tel qu’il quasi impossible d’envisager l’arrivée au pouvoir d’un « no name » en politique, fusse t-il une icône du football. Aussi, les frasques et les sorties médiatiques maladroites du footballer ont laissé des grosses tâches indélébiles : morceau choisi « je regrette d’être camerounais », des propos tenus par Samuel Eto’o à une époque pas lointaine. Ajouté à ce qui précède, l’idée encore répandue dans l’imagerie populaire selon laquelle les footballeurs ne sont pas suffisamment instruits et donc inaptes à détenir des postes de responsabilités. Ce dernier grief est d’autant plus cinglant que depuis plusieurs années aucun footballeur n’est parvenu à diriger la fédération camerounaise de football encore moins le ministère des sports et de l’éducation physique, même pas Joseph Antoine Bell, dont l’intellectualité est reconnue au delà du champ sportif.
Au regard de tout ce qui précède, l’on peut rejoindre Samuel Eto’o, dans l’idée qu’il s’agit d’une farce. En un mot comme en plusieurs Samuel Eto’o président de la république du Cameroun cela relèverait du « futur impossible ». Et Georges Weah Eh bien le libérien a fait ses classes (et Dieu sait combien ce n’est pas suffisant). Batu à la première tentative, il est rentré à l’école de la gouvernance, de la retenue, à l’école de la vie. Aussi, que ce soit en superficie, en richesse ou encore en démographie, il ne saurait y avoir photo entre le Cameroun et le Liberia.