Médecin des Hôpitaux et Praticien Hospitalier en France dans la spécialité Médecine d'Urgence, le Dr Armand Nghemkap a fait de la lutte contre les morts subites, son cheval de bataille.
C'est dans ce contexte qu'il a dénoncé la prise en charge du malaise de Papa Wemba en clamant dans une précédente interview que « Papa Wemba aurait pu être sauvé ».
Homme aux multiples casquettes dont une spécialisation en Médecine et Biologie du Sport, il nous livre aujourd'hui son analyse sur le nouveau drame qui a frappé la famille du football camerounais et mondial.
Bonjour Docteur, en tant que médecin urgentiste des hôpitaux en France, vous avez appris récemment la mort de l'international camerounais Patrick Ekeng sur un stade de football. Selon vous, comment peut-on qualifier ce genre de décès brusque ?
Un footballeur qui s'écroule brutalement sur un terrain de sport sans aucun contact avec un adversaire a fait un malaise et si de surcroit il tombe inconscient et ne respire plus, il est en état d'arrêt cardiaque.
Lorsque cet arrêt cardiaque conduit à son décès, ce décès est tout simplement qualifié de mort subite du sportif.
Pour me résumer, l'international camerounais Patrick Ekeng a été tout simplement
victime d'une mort subite du sportif qui, je tiens à le rappeler dans cet entretien est une mort naturelle, brusque, inattendue chez un sportif qui initialement se sentait en parfaite bonne santé.
Sa mort fait écho à celle de son compatriote Marc-Vivien Foé, en 2003, à la suite d’une crise cardiaque en plein match entre le Cameroun et la Colombie, au stade Gerland, à Lyon, lors d’une rencontre de la Coupe des confédérations.
Nous avons tous en tête ces images chocs de jeunes footballeurs qui s'effondrent, foudroyés, en pleine action. Ces décès spectaculaires sont pourtant l'arbre qui cache la forêt docteur?
Contrairement à ce que pense le grand public, la mort subite des sportifs n'est pas exceptionnelle, c'est même un véritable problème de santé publique car tous les ans en France pour citer ce pays qui tient un registre sur les morts subites sportives, on enregistre plus de 1000 morts subites annuelles.
Mais ces morts subites ne connaissent une médiatisation que lorsqu'elles frappent des sportifs de haut niveau et cette médiatisation est d'autant plus amplifiée par le fait que le drame se déroule en mondovision.
La prise en charge dont a bénéficié le Camerounais Patrick Ekeng a-t-elle été faite dans les conditions appropriées ?
Comme je l'ai dit dans les colonnes du journal « Le Messager », et sur les ondes de la radio camerounaise Afrik2 émettant à Yaoundé, la prise en charge de Patrick Ekeng a été lamentable et catastrophique.
Je ne souhaite plus faire de commentaires à ce sujet par respect de la déontologie médicale et de la confraternité.
Toutefois, ayant fait de la lutte contre les morts subites des sportifs mon cheval de bataille depuis le décès en mondovision du légendaire Marc-Vivien Foé en 2003 avec notamment la publication de plusieurs articles sur la prévention de la mort subite des sportifs, il m'était indigeste de garder mon silence car comme je l'ai mainte fois dit, écrit et publié, les morts subites des sportifs sont des morts évitables.
Aussi, en cas de malaise chez un sportif qui devient inconscient et qui ne respire plus, il n'y a que 2 gestes à réaliser : Masser et défibriller.
Comment faire pour sensibiliser l’opinion sur ce sujet qui devient de plus en plus inquiétant ?
Une bonne campagne d'information et de communication ciblant le grand public me paraît indispensable.
Cette campagne devra sensibiliser le grand public à la reconnaissance de l’arrêt cardiaque, sur l'apprentissage du massage cardiaque, ainsi qu'à l'utilisation d'un défibrillateur cardiaque.
Les pouvoirs publics doivent également développer des politiques d'éducation pour la santé sur les morts subites notamment en milieu scolaire dans des cours d'éducation physique et sportive.
Les différentes fédérations sportives doivent également organiser des ateliers que j'appelle « Atelier sauver des vies » qui sont des réunions d'information et de sensibilisation sur la reconnaissance de l'arrêt cardiaque et l'apprentissage des gestes qui sauvent.
Les footballeurs eux-mêmes devraient se former aux gestes qui sauvent comme l'ont fait sur mon initiative Emmanuel Maboang Kessack, Rigobert Song Bahanag, Raymond Nkalla en participant le 19 février 2012 dans la ville de Soissons à un séminaire sur la mort subite des sportifs.
Les footballeurs de haut niveau devraient également contribuer dans la sensibilisation sur la mort subite des sportifs en parrainant comme je le fais à mon modeste niveau de belles initiatives comme le tournoi de football Kamer Mouna Foot qui prône la sensibilisation des jeunes sportifs et génies du ballon rond à la problématique de la mort subite des sportifs et l'apprentissage des gestes qui sauvent sur un terrain de football en cas de malaise du sportif.
Je profite de cette interview pour rappeler à vos lecteurs que la 3ème édition aura lieu du 15 au 18 décembre 2016 à Douala au Cameroun avec le co-parrainage des anciens Lions indomptables du Cameroun Emmanuel Maboang Kessak et Joel Epalle ainsi que du footballeur Patrick Etoga et bien d'autres.
Enfin, je pense que la société civile et le milieu associatif doivent jouer leur partition en multipliant ces ateliers d'information et de sensibilisation sur la reconnaissance de l'arrêt cardiaque et l'apprentissage des gestes qui sauvent comme l'a fait l'association Marcq- Cameroun de madame Jeanine Keumo, dans les lycées de Dschang et Fonakeukeu lors de la 2ème édition du festival de cinéma éducatif et culturel Komane et avec d'ailleurs la grande contribution de la légende camerounaise vivante Oncle Otsama .
Existe-t-il des signes avant-coureurs pouvant donner des indications sur une éventuelle crise cardiaque?
Il existe effectivement des signes d'alerte de la mort subite du sportif que j'ai déjà détaillé dans plusieurs publications que vos lecteurs peuvent retrouver en tapant juste mon nom sur un moteur de recherche.
Toutefois, je fais en citer ici les plus fréquents qui sont, la sensation d'une douleur thoracique, d'une palpitation, d'un essoufflement anormal ou tout simplement la sensation d'un état de malaise.
Certains diront tout simplement à leur co-équipier, « c'est bizarre, je ne me sens pas bien ».
C'est pour cette raison que je clame haut et fort que le sportif doit savoir écouter son corps et son cœur.
Un dépistage est-il envisageable chez un individu?
Le dépistage doit être obligatoire. Après un long travail de recherche et de réflexion sur les morts subites des sportifs, j'avais publié en 2014 « Les dix commandements du sportif ».
Aujourd'hui, je propose une stratégie de prévention en 5 axes dont le dépistage précoce est le premier axe.
Pouvez-vous nous donner les autres axes de votre stratégie de lutte contre la mort subite des sportifs ?
Bien évidemment. Voici les 5 axes de ma stratégie de prévention contre la mort subite des sportifs :
1- Imposer un dépistage précoce par une visite médicale de validation de la pratique sportive.
Cette visite médicale permettra d'apprécier au cours d'un interrogatoire médical les facteurs de risque personnels et familiaux du sportif.
La visite devra obligatoirement comprendre la réalisation d'un ECG de repos.
2- Initier les sportifs à la connaissance des signes d'alerte de mort subite
3- Former le milieu sportif à la reconnaissance de l'arrêt cardiaque du sportif
4- Sensibiliser les sportifs et leur entourage à l'apprentissage des gestes qui sauvent (Massage et Défibrillation Cardiaque)
5- Imposer un défibrillateur cardiaque dans toute trousse d'urgence d'un médecin sportif
Docteur, que pouvez-vous conseiller aux sportifs et aux populations pour prévenir ou faire face à une mort subite?
Je leur conseille d'appliquer tout simplement « Les dix commandements du sportif » dont la connaissance protège le sportif de la mort subite.
Pouvez-vous rappeler à nos lecteurs ces Dix Commandements du Sportif ?
Je l'ai déjà publié dans votre journal mais il est toujours nécessaire de faire des piqûres de rappel. Voici donc les « Dix commandements du sportif » :
1- Savoir si on est à risque de mort subite du sportif par ses antécédents familiaux et passer une Visite médicale de non contre-indication à la pratique sportive comprenant la réalisation d'un ECG, avant la pratique de tout sport ou avant toute reprise d'une activité sportive.
2- Connaitre les Signes d’alerte d'un malaise cardiaque du sportif et le signaler à son Médecin.
3- Pratiquer une Activité physique ou sportive modérée, régulière et adaptée à ses capacités.
4- Toujours respecter un échauffement de 10 mn au minimum avant tout effort physique intense afin de préparer ses muscles à l'effort.
5- Eviter l'épuisement à savoir un essoufflement à l'extrême jusqu'à ne plus pouvoir parler.
6- Bien s’hydraté avant, pendant et après l'effort.
7- Ne pas Fumer 1h minimum avant la pratique sportive ni 2h minimum après toute pratique sportive.
8- Ne pas faire du sport si on a de la fièvre.
9- Eviter la consommation de substances dopantes et de boissons énergisantes.
10- Eviter la pratique sportive quand il fait très froid (T° inférieure à – 5° C) ou très chaud (T° supérieure à 30 °)
Docteur, nous vous remercions pour votre disponibilité.