Les militants du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (parti au pouvoir) qui festoient en ce moment à travers la République ont-ils le droit d’être fier de célébrer 35 ans de règne de leur champion dans un pays qui se veut démocratique ? Loin de nous toute idée de blâmer leur choix qui se veut démocratique. Cependant, une rétrospective des 35 ans de règne de Paul Biya en matière de respect des droits humains amène tout de même à se demander si la date du 6 novembre au Cameroun ne mérite pas plutôt d’être considérée comme une journée de deuil tant le respect des droits et libertés de la personne humaine a sérieusement pâti sous le règne de Paul Biya depuis son arrivée à la tête de l’Etat.
C’est en avril 1984 que le régime dit du « Renouveau » abat sa première carte sanglante. Au lendemain du coup d’Etat manqué du 6 avril 1984 (soit près de 2 ans après avoir succédé à Amadou Ahidjo), plusieurs soldats de la Garde Républicaine tous originaire du Nord-Cameroun soupçonnés d’être impliqués dans ce coup de force qui a avorté sont arrêtés, placés en détention puis exécutés quelques semaines plus tard sans qu’on ne sache où et quand ils ont été jugés. Il s’agissait pour la plupart des soldats restés fidèles à Ahmadou Ahidjo qui était depuis quelques mois entré en conflit de leadership avec Paul Biya.
Arrive le début des années 1990. En cette période marquée par la chute du mur de Berlin, les peuples africains ont soif de liberté. Au Cameroun, le 26 mai 1990, le Social democratic front (Sdf), principal parti d’opposition au Cameroun, lance ses activités par une marche à Bamenda. La manifestation sera réprimée par les forces de l’ordre. Bilan : 6 morts. Des morts « piétinés » lors de la bousculade selon la radio d’Etat, la Cameroon radio and television (Crtv).
Conférence nationale souveraine
Les partis d’opposition au Cameroun revendiquaient une conférence nationale souveraine comme celle expérimentée dans d’autres pays africains comme le Bénin, histoire de remettre à plat les institutions marquées par 30 ans de monotlithisme. Mais Paul Biya leur a répondu qu’elle est sans objet. Conséquence : des opérations de désobéissance civile ont été lancées le 18 avril 1991 par l’opposition et la société civile à Douala et dans certaines localités de l’Ouest. Le pouvoir a répondu à cette campagne qui a duré plus de 6 mois par la répression. Bilan, une centaine de morts selon les organisation de la société civile.
Au cours de cette même période, à l’université de Yaoundé (la seule qui existait dans le pays), une marche des étudiants sur le campus va être réprimée par les forces de l’ordre. Plusieurs étudiants ont été tabassés, violées, tués, d’autres sont jusqu’à ce jour portés disparus. Il était question pour le mouvement estudiantin « Le Parlement » de revendiquer l’amélioration des conditions de vie des étudiants. Exclus de toutes les universités du Cameroun, certains membres du Parlement se trouvent en ce moment en exil en Occident.
Commandement opérationnel
Nous sommes au début des années 2000. Le grand banditisme sévit à Douala, capitale économique du Cameroun. Pour y faire face, le pouvoir met en place le Commandement opérationnel, un pot-pourri de policiers, gendarmes et militaires disposant de pouvoirs exceptionnels. Mais très vite, le Commandement opérationnel se mue en une terrible machine à tuer. Des centaines d’hommes, femmes et enfants soupçonnés d’être des bandits seront exécutés par centaine. La disparation de 9 jeunes habitant le quartier Bepanda sera la goutte d’eau de trop. Après les protestations de la presse privée, des organismes de défense des droits de l’homme, du clergé et même du Parlement européen, le Commandement opérationnel sera dissout et ses responsables traduits devant le tribunal militaire même s’ils écoperont des peines légères.
Début 2008. Paul Biya vient de décider de lever le verrou constitutionnel de la limitation des mandats présidentiel. L’opposition proteste vivement. Le contexte économique ne se prête pas à cette intention présidentielle. La vie devient de plus en plus chère. Les denrées de première nécessité coûtent les yeux de la tête. Fin février 2008, à Douala, Yaoundé et dans les principales villes de la région du Littoral, de l’Ouest, et des deux régions anglophones, les populations décident de descendre dans la rue et de dénoncer dans la foulée la modification de la constitution en préparation. Le pouvoir réprime les manifestations dans le sang. Bilan, plus de cent morts selon les organismes de défense des droits de l’homme, une quarantaine de sources gouvernementales.
Crise anglophone
La saga meurtrière s’est poursuivie de plus belle avec la crise anglophone. Le 1er octobre dernier, les forces de l’ordre et de défense ont écrasé dans le sang les manifestations marquant la commémoration de l’indépendance du Southern Cameroon. Bilan, une dizaine de morts de sources officielles, plus d’une centaine selon le Réseau des défenseurs des droits humains en Afrique centrale. 35 ans de pouvoir entachés de sang. Du sang versé dans l’unique but de conserver le pouvoir. Au nom de ce pouvoir absolu, des libertés publiques sont également piétinées.
Depuis 35 ans de pouvoir, être un parti d’opposition ou une organisation de la société civile et exister n’est pas chose facile au Cameroun. Les activités organisées par ces derniers sont systématiquement réprimées par le pouvoir en place. Le 21 octobre dernier, en solidarité avec la minorité anglophone, le SDF envisageait d’organiser une marche pacifique à Douala. Mais cette dernière a été interdite quelques jours plus tôt par le sous-préfet de Douala 1er. L’ONG Dynamique Citoyenne du syndicaliste Jean Marc Bikoko voit ses activités interdites par le pouvoir chaque fois qu’elle aborde la problématique de l’alternance.
Prisonniers politiques
Le Cameroun, en 35 ans de pouvoir est aussi devenu une prison politique à ciel ouvert. Plusieurs anciens proches collaborateurs de Paul Biya croupissent en prison pour soi-disant détournement de deniers publics. Il s’agit en réalité des personnalités charismatiques et compétentes que Paul Biya et certains de ses proches parents considèrent comme de potentiels concurrents politiques. Il s’agit de l’ancien Premier Ministre Inoni Ephraïm, des anciens ministres Marafa Hamidou Yaya, Jean Marie Atangana Mebara, Olanguena Awono, Abah Abah Polycarpe, des anciens directeurs généraux des sociétés publiques Iya Mohamed, Zacchaeus Forjindam et de l’homme d’affaires Yves Michel Fotso. Il s’agit là des cas de détention politiques recensés par le Comité de Libération des Prisonniers Politiques, une organisation de la société civile basée en France.
La loi anti-terroriste votée en décembre 2014 fait du Camerounais lambda un condamné à mort en sursis. Les militants de la cause anglophone incarcérés par centaine dans les prisons camerounaises en font la triste expérience. Comme quoi, les droits de l’homme sous Biya, c’est pour les moines et les fakirs. Machiavel made in Mvoméka’a s’en moque !