Au Sud-ouest et au Nord-ouest du Cameroun, on avance un peu plus vers la guerre civile. D’un côté, l’armée obéit aux instructions du chef de l’Etat, Paul Biya. Le chef des armées, le 30 novembre 2018, disait prendre toutes les dispositions « pour mettre cette bande de criminels hors d’état de nuire ». De l’autre, « l’escadron ambazonienne », déterminée à forcer la main à Yaoundé, rétif à tout débat sur la forme de l’Etat. Récents résultats macabres connus: l’enlèvement du sous-préfet et l’assassinat de trois gendarmes dans la localité de Batibo le 11 février; le meurtre de deux gendarmes dans le village de Mbingo, dans la région du Nord-Ouest, d’un soldat à la sortie de Bamenda le 1er février, d’un agent d’Elections Cameroon (Elecam) à Bangem, ainsi que les décès signalés de quatre civils à Bamenda et à Belo les 2 et 3 février dernier. Les messages alarmistes se multiplient à propos de la situation sur le terrain. Dans un entretien qu’il accorde le 02 février au site d’informations Vatican News, Hans De Marie Heungoup évoque le risque de « guerre totale» qui couve dans cette partie du pays. Selon le chercheur à l’International Crisis Group, le mouvement ambazonien pourrait se radicaliser davantage pour devenir « un outil politique exclusivement armé ».
Couvre-feu
Sur la foi d’un échange téléphonique capté entre deux « Amazoniens » le 06 février en mi-journée, une source de l’Agence France presse (AFP) annonce même « le plus dur cette semaine sur la bande frontalière avec le Nigéria ». Notre interlocuteur dit avoir entendu une conversation mettant en avant deux scénarii. L’un « catastrophique », qui consisterait en une alternance d’affrontements très violents et de grande intensité. Le second scénario verrait la partie anglophone se transformer en un nouveau Far West. Une information que les autorités camerounaises semblent prendre au sérieux. Elles ont instauré un couvre-feu pendant une semaine dans ces deux régions anglophones en raison de menaces d’ « attaques imminentes» de sécessionnistes, selon une note interne émise samedi 10 février par le ministre de la Défense, Joseph Beti Assomo.
Autour de ce dernier aspect, Stefanus Arrey, un militant du Liberal Democratic Party (LDP), une formation politique basée à Limbé (Sudouest), redoute aussi l’escalade. Dans les villages qu’il a parcourus ces deux dernières semaines, des groupes agissent de plus en plus par l’intermédiaire de franchisés, et de moins en moins sur le mode d’un état-major contrôlant les actions sur le terrain. « La conjonction de la proximité avec quelques cellules sécessionnistes biafra et de la porosité des sociétés de part et d’autre de la frontière; la présence probable des rescapés du mouvement sécessionniste dans plusieurs localités; les complicités au sein des services secrets ; une partie de l’opinion gagnée au militantisme sécessionniste… Tout concourt à faire du Sud-ouest et du Nord-Ouest, non tant le terrain d’une résurgence possible des Ambazoniens qu’un nœud de problèmes de sécurité dont l’accumulation peut fournir la matière d’une nouvelle action criminelle de grande ampleur dans les prochains jours », dévoile l’homme politique.
Nébuleuse incertaine
Depuis l’extradition et la mise à la disposition de la justice camerounaise, de Sisiku Ayuk Tabe et 46 autres sécessionnistes, quelques groupes ou individus nourrissent une contre-offensive. Dans une sorte de round-up de la situation sur le terrain, le colonel Didier Badjeck l’a reconnu. « La violence est montée d’un cran avec plusieurs attaques terroristes qui ont été perpétrées sur des postes isolés… Les contacts musclés que nous avons se soldent par l’arrestation de plusieurs combattants sécessionnistes même si l’on paie le prix fort camer.be», a dit le chef de la Division de la communication au ministère de la Défense au cours de l’émission « Honneur et Fidélité » diffusée sur les ondes de la radio publique le 03 février dernier. Du coup, l’on devine que la crise anglophone a achevé de tracer deux cercles de stratégies. Le premier vise les sécessionnistes et leurs complices ; le second, les forces de défenses en faction sur le terrain. D’un côté comme de l’autre, il y a deux niveaux d’objectifs : « pour l’armée, il faut à la fois éventrer complètement le projet ambazonien et restaurer l’autorité de l’Etat. Pour les combattants ambazoniens, ils veulent, d’une part, renforcer le prestige et la légitimité de leur projet dans l’opinion locale à travers des attaques spectaculaires sur les forces de défense et de sécurité, et d’autre part, ils ambitionnent de devenir les interprètes autorisés de la situation dans ces régions – celle d’une guerre d’agression contre des innocents, à laquelle doit répondre la violence dont ils fournissent l’avant-garde. A ce stade, personne ne veut lâcher du lest. Et voilà, une nébuleuse incertaine », analyse le Dr Reynaud Binyé du Cercle de géostratégie du Cameroun (CGC).