L'activiste camerounais Bana Barka fait une juxtaposition entre les évènements dramatiques qui se sont produits à Soweto à Ekondo Titi avec en toile de fond le massacre d'élèves.
Le 16 juin 1976 des policiers blancs sud-Africains tiraient sur des élèves d'une école qui s'étaient révoltés contre une loi qui imposait l'afrikaans comme unique langue officielle dans les écoles publiques. Il y avait eu une centaine de morts et le premier touché est celui que l'on voit sur la tristement célèbre photo de gauche: Hector Pieterson, 13 ans; un enfant africain au nom gréco-hollandais dans une querelle linguistique entre Anglais et Boers.
Cette scène tragique semble s'être répétée à Ekondo Titi, où les terroristes ambazoniens ont massacré avant-hier trois élèves et un enseignant. La ressemblance s'arrête là, car à Ekondo Titi, aucune loi n'empêchait aux élèves d'apprendre l'anglais. Les élèves n'étaient même pas dans la rue pour revendiquer un quelconque bilinguisme. Pourtant, en rendant compte de ces tueries, on les rattachera à la "crise anglophone" et pour des personnes peu au fait de la nature et de l'évolution du conflit dans le NOSO, les meurtriers de ces malheureux élèves passeront pour des défenseurs d'une minorité linguistique opprimée. Il convient donc de rappeller ceci: les Sud-africains ne tuaient pas leurs propres enfants.
Le mort kilométrique et la crise sanglophone
Le mort kilométrique est un concept tiré de la loi de proximité et qui explique dans le monde des médias l'attention que les journalistes portent à une nouvelle. En gros plus le drame est géographiquement proche, plus il sera traité.
Mais la distance n'est pas la seule dimension de la loi de proximité: il y a aussi l'affectivité, je dirais le degré d'empathie. C'est, dans le cas présent, ce qui explique qu'à Yaoundé (le Yaoundé politique et administratif) on n'a cure de de trois enfants et d'un enseignant qui sont massacrés. On préfère mettre à la une les "vraies choses": Olembe, CAN, et Cie. Du pain et des jeux olembiques, c'est en effet ce qui frappe sur cette une: la photo du stade (jeu) et un titre sur les approvisionnements des "End of year feasts" (pain).
Oh, je vois bien le bandeau bleausur la partie supérieure: une relation de l'événement, écrite en anglais, et qui se concentre plus sur l'apaisement que sur l'indignation. Si les élèves massacrés avaient été les enfants de VIP, ou si à la place de l'enseignant il y avait eu un administrateur civil, ce drame aurait trouvé sa place à la une, avec photo l'appui. Le journal du gouvernement, à son habitude, semble plus préoccupé à endormir le peuple par des jeux et du pain, que de rendre compte de la peine des familles éprouvées au NoSo. Pas par manque de compassion, non: les journalistes de Cameroon Tribune sont probablement de braves pères et mères de famille...Mais il travaillent pour un monstre froid, un gouvernement habitué à atténuer ou à occulter les drames qui n'arrangent pas ses petites affaires et ses grandes ambitions.
Or dans l'affaire présente, Cameroon Tribune passe à côté d'une opportunité providentielle, celle d'exploiter l'infamie des tueurs d'enfants pour révéler au monde la nature et surtout l'évolution crapuleuse du conflit dans le Noso. Une photo d'Ekondo Titi juxtaposée à celle de Hector Pieterson de Soweto aurait par exemple suffi à amener les lecteurs d'ici et d'ailleurs à se poser les vraies questions sur ce qu'on appelle improprement la "crise anglophone". Elle n'a d'anglophone maintenant que le sang et les sanglots, et ce serait rendre un service à la langue de Shakespeare que de désigner désormais la crise du NoSo par le nom de "crise sanglophone". Parce qu'elle fait couler du sang et des larmes, parce que les sanguinaires ont pris la place des idéologues. On ne peut plus dans ces conditions continuer à analyser le conflit avec les mêmes clichés qu'il y a 5 ans: il faut re-examiner les forces en présence et séparer de la population les criminels masqués en révolutionnaires.