Opinions of Monday, 3 April 2023

Auteur: Roland Tsapi

Pouvoir : 'le Cameroun ou la dynastie des familles'

Paul Biya, a nommé 31 mars 2023 les 30 sénateurs restant pour compléter à 100 Paul Biya, a nommé 31 mars 2023 les 30 sénateurs restant pour compléter à 100

Le président de la république Paul Biya, a nommé 31 mars 2023 les 30 sénateurs restant pour compléter à 100 les 70 issus des élections du 12 mars 2023. Dans la région de l’Ouest, Marcel Niat Njifendji a été reconduit dans cette liste des privilégiés qui bénéficient dans la chambre haute du décret présidentiel, alors que l’ancien président de la fédération camerounaise de football Seydou Mbombo Njoya a fait son entrée. Entrée également dans le Sud-Ouest de Ekoko Mukete. Si dans l’ensemble on observe une certaine stabilité dans la liste du président Paul Biya quant à la répartition sociologique, il n’échappe pas à l’observation qu’il a perpétué avec ces dernières nomination ce qui peut être appelé la dynastie du pouvoir politique qui peut s’illustrer avec les trois noms cité plus hauts, sans qu’ils ne soient les seuls à consacrer cette logique. Déjà, Marcel Niat Njifenji a été nommé pour la 3eme fois depuis la mise sur pied du sénat en 2013. L’homme est pourtant bien diminué par l’âge et la maladie, mais il n’a pas été remplacé, un peu comme dans une dynastie familiale où on ne remplace pas un pas un homme tant qu’il est encore vivant. Cette logique s’est confirmée par contre avec la nomination de Seydou Mbombo Njoya, le fils de feu Ibrahim Njoya sultan des Bamoun. Ce dernier figurait aussi dans la liste des nommés de Paul Biya depuis 2013, mais est décédé le 27 septembre 2021. Idem pour Ekoko Mukete, fils de chief Victor Mukete décédé le 10 avril 2021, alors qu’il exerçait aussi le deuxième mandat suite à la nomination depuis 2013. Ces trois cas au moins confirment qu’il y a certaines fonctions ou poste de pouvoir qui appartiennent à certaines familles, et qui peuvent être héritées de père en fils. Il est fort à parier que si Niat Njifendi n’avait plus été de ce monde comme ses camarades Mbombo et Mukété, Paul Biya ne serait pas allé chercher loin pour le remplacer au sénat. Il va sans dire que ces nominations relèvent du pouvoir discrétionnaire du chef de l’Etat, mais on ne peut s’empêcher d’observer que ce pouvoir discrétionnaire ne l’exonère pas de la discrimination. Qui met à mal la diversité ou le renouvellement des compétences.

Mais il faut lire dans ces nominations constantes des mêmes personnes aux mêmes postes, remplacés par leurs fils après leur décès, un message simple, c’est que cela pourrait se passer aussi au sommet de l’Etat. Si les enfants des autres peuvent les remplacer à des fonctions dans certaines institutions, pourquoi ne serait-il pas le cas dans d’autres institutions, y compris la présidence de la république ?

Familles régnantes

Le président Paul Biya dans son décret de nomination, perpétue ainsi, avec ces trois nom auxquelles on peut ajouter Hayatou Aicha Pierrette, épouse de l’ancien premier ministre Issa Hayatou nommée dans la région du Nord, ce qui a été appelée depuis l’indépendance du Cameroun oriental les familles régnantes. Ces familles qui sont toujours représentées dans les cercles du pouvoir quel que soit le cas, soit à l’issue des élections dont le choix des candidats est bien orienté, soit par nomination. Cela a été le cas sous le premier président Ahmadou Ahidjo, et l’actuel chef de l’Etat reste ainsi logique avec le système qu’il a hérité et qu’il incarne. Mais il faut lire dans ces nominations constantes des mêmes personnes aux mêmes postes, remplacés par leurs fils après leur décès, un message simple, c’est que cela pourrait se passer aussi au sommet de l’Etat. Si les enfants des autres peuvent les remplacer à des fonctions dans certaines institutions, pourquoi ne serait-il pas le cas dans d’autres institutions, y compris la présidence de la république ? On note là que la succession dynastique est inscrite en lettres d’or dans l’Adn des pouvoirs, mais au Cameroun comme dans certains pays de l’Afrique francophone, le phénomène est plus prononcé, on ne s’entoure pas comme ailleurs des précautions de décence pour le perpétuer. Aux Etats unis d’Amérique par exemple, relève Alain Franchon du journal le Monde dans un article publié en 2015 intitulé « le pouvoir : une histoire de famille », on pense aux Kennedy, avec un président (le 35e), un candidat à la présidence, un sénateur, une ambassadrice, etc. De même le deuxième président américain, John Adams, a un fils à la Maison-Blanche, John Quincy Adams le 6eme. William Henry Harrison le 9eme président aura un petit-fils président, Benjamin Harrison le 23eme, le 32e président, Franklin Roosevelt était un cousin éloigné de Theodore Roosevelt le 26eme. Sauf que là on ne peut parler de succession, même avec la prépondérance des familles Bush et Clinton depuis les années 90, car la tradition dynastique a peu de racines dans ce pays. Franchon rappelle que « si l’Amérique n’a jamais connu ni rois ni princes, elle a eu un temps ses aristocrates — l’élite économique et politique anglo-saxonne protestante, les descendants des premiers colons. Mais ceux-là perdent le pouvoir dans la deuxième moitié du XXe siècle, submergés par les nouvelles élites venues du Sud et de l’Ouest. L’esprit de la République américaine était sauf : le pays produisait une « aristocratie » du mérite. Le mythe de la méritocratie recouvrait largement la réalité : un pays où le succès dépend moins du nom et du milieu familial que du talent et de l’effort. L’un des moteurs des États-Unis restait la mobilité sociale. »

Mais l’Amérique n’est pas le Cameroun, ou pour rester sur la terminologie locale, le Cameroun c’est le Cameroun. Si historiquement il n’a pas connu non plus des princes et des rois, il a bien développé la reproduction sociale qui tend à maintenir un statut quo et se transformer en une dynastie déguisée, savamment masquée par des élections à la transparence discutable ou justifiée par la notion tout aussi floue que tyrannique de pouvoir discrétionnaire des nominations. L’alternance sociale, la diversité des talents, le mythe de la méritocratie observé ailleurs ont laissé place ici au mythe de la dynastie. C’est ainsi que le système gouvernant construit une société dans laquelle, de plus en plus, ceux qui réussissent, quel que soit le domaine, sont les enfants de ceux qui ont réussi.

Roland TSAPI