La bousculade dramatique survenue le 24 septembre 2015 à la Mecque, va assurément laisser des traces au sein de la communauté musulmane du Septentrion. Et peut-être modifier la perception de leur religion par l’autorité politique. «Notre religion n’est pas considérée à sa juste valeur par le chef de l’Etat.
Certes, le pays est laïc et lui-même est d’obédience chrétienne, mais devant une telle situation, il doit faire preuve de compassion», renseigne sous cape un haut responsable de la communauté musulmane à Yaoundé. En fait, que reprochent les musulmans au gouvernement dans la gestion de cet évènement malheureux ? Deux choses.
La première, c’est le volet symbolique. Le secretaire d’Etat à la Santé publique, Alim Hayatou, a été dépêché par le chef de l’Etat à Djedda, le 05 octobre 2015, pour présenter ses condoléances aux pèlerins. «Il est arrivé dans la matinée du 05 octobre, a visité les centres hospitaliers, les morgues ; a rencontré les encadreurs et les pèlerins, puis nous a présenté les condoléances du chef de l’Etat.
Derrière tout cela, il est apparu que ce qui importait pour les autorités, c’était le retour en grande pompes à l’aéroport de Garoua. Les pèlerins survivants sont courroucés et consternés», renseigne un encadreur joint au téléphone.
Au-delà de cette opération «marketing» du lamido de Garoua, les musulmans s’interrogent sur l’épaisseur de l’envoyé spécial du chef de l’Etat. Pour bon nombre d’entre eux, à défaut du ministre des Relations extérieures, Adoum Gargoum, ministre délégué auprès du ministre des Relations extérieures en charge du Monde Islamique, aurait pu relever le niveau de la compassion du chef de l’Etat.
«Les affaires politiques peuvent être traitées avec dédain, mais quand il s’agit des affaires religieuses, il est toujours bon d’y mettre un peu de forme et de respect. Dans notre esprit, nous nous disons que si le chef de l’Etat avait été de confession musulmane, la gestion de cette crise aurait été totalement différente», explique Habib Moussa, cadre à Maroua.
Les musulmans pensent-ils à des pays comme le Niger, le Mali ou le Sénégal qui, bien qu’affichant au compteur un nombre de morts et disparus en deçà de celui du Cameroun, ont décrété des journées de deuil national en hommage aux victimes ? Sans doute.
A bien écouter les récriminations, les reproches de la communauté musulmane vont au-delà de la gestion émotionnelle de la crise. Nombre de musulmans accusent le gouvernement de dissimuler les chiffres réels des morts et des disparus parmi les 4500 pèlerins camerounais.
Ils évoquent abondamment ce récent communiqué malheureux du ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation, président de la Commission national du Hadj, qui avançait le chiffre de 28 pèlerins morts, alors même que l’on se situait déjà à plus de quarante morts.
«Pourquoi minimiser ce que Dieu a voulu. Les pèlerins sont morts par la volonté de Dieu», regrette Mme Haoua qui a perdu un de ses parents. La colère grandissante dans la communauté musulmane du Septentrion n’est pas prête de s’estomper.
Après le 10 octobre 2015, date prévue pour le retour du dernier pèlerin camerounais, elle pourrait même prendre de proportions inquiétantes. «Les pèlerins pleurent.
Ils racontent comment ils ont été maltraités par la délégation officielle, comment l’équipe médicale n’a pas été la hauteur. Tout cela nous fait mal, car il s’agit de nos parents. Nous avons une grosse douleur au coeur. Quant à cela, on ne ressent pas la compassion de nos gouvernants, nous sommes sonnés», se désole Boubakary, rencontré à l’aéroport de Garoua au petit matin du 05 octobre 2015.
Venu prendre des nouvelles d’un proche dont il a perdu la trace depuis le 24 septembre 2015, il n’a de cesse de pointer un doigt accusateur sur la délégation officielle du Cameroun au Hadj, incapable de fournir la moindre information.
Malheureusement, le bilan ne fait que s’alourdir jour après jour. Dans la journée du 05 octobre 2015, deux corps de disparus camerounais ont été retrouvés, portant désormais le nombre de pèlerins morts à une cinquantaine. «Nous avons franchi la barre de 50, cela est un fait.
Nous comptabilisons également près de 45 disparus, mais ce serait un miracle qu’ils réapparaissent puisque les recherches ont été interrompues. Je pense que le Cameroun va tourner autour de 102 morts», informe un membre de la délégation officielle du Cameroun.
Une fois ces chiffres rendus officiels, les musulmans ne désespèrent pas que le chef de l’Etat honore la mémoire des victimes en décrétant un deuil national.