Réligion of Wednesday, 9 December 2015

Source: carmer.be

Mgr Damase Zinga, mon frère et mon ami

Mgr Damase Zinga Mgr Damase Zinga

Damase Zinga Atangana, « Cui facit mirabilia magna solus » « A celui seul qui a fait de grandes merveilles ». C’est par ces paroles du psalmiste que Mgr Joseph Befe Ateba avait introduit ses mots de remerciement en juin 2008 à Kribi ; c’est par cette même parole que je voudrais témoigner de notre amitié et de notre fraternité. Le jeudi 17 juillet 2003, le Pape Jean Paul II nommait comme Nonce Apostolique au Cameroun et en Guinée Equatoriale Mgr Eliseo Antonio Ariotti alors conseiller de nonciature en France. Nous étions étudiants. Je me souviens du soin et du choix des mots de l’Abbé Damase Zinga Atangana pour adresser nos félicitations au nouveau Nonce Apostolique.

Cette rigueur intellectuelle, beaucoup de ses condisciples au Grand Séminaire de Nkol-bisson la lui reconnaissent ; moi, c’est à Lille sur les bancs de l’université que je l’ai expérimentée entre 1997 et 2003 alors même qu’il avait déjà une longue expérience sacerdotale derrière lui puisqu’ordonné prêtre le 25 juillet 1992. Le dimanche, nous étions heureux de nous retrouver à la paroisse Saint Michel pour les premières années et à la paroisse du Sacré-Cœur pour les dernières années de son séjour dans le Nord de la France.

L’Abbé Damase Zinga Atangana, homme studieux, a passé avec brio et surtout aisance de nombreux diplômes, en théologie morale, en bioéthique, en éthique médicale et biologique, en histoire, en sciences des religions et des phénomènes interculturels. Tout ceci couronné par deux doctorats dont un m’a personnellement marqué :

« Développement de la doctrine du magistère catholique sur la contraception de Pie XI (Casti Connubii) à Jean-Paul II (Evangelium Vitae) : la nouveauté des positions de Jean-Paul II. »

Véritable étude comparative qui place la problématique de la limitation des naissances au cœur du devenir de la famille en rendant intelligible par des explications philosophique, théologique, morale, l’encyclique Humanae Vitae du Pape Pie XII du 25 juillet 1968.

Le jour de cette soutenance, porté par ses deux directeurs, Jacques Prévotat, éminent historien et l’un des meilleurs spécialistes de l’Action Française et Yves-Marie Hilaire spécialiste de l’histoire des religions, auteur notamment d’un dictionnaire que beaucoup d’entre vous ont certainement consulté un jour, Dictionnaire du monde religieux dans la France contemporaine et qui nous a quitté le 15 décembre 2014. Je me souviens de ces mots de Yves-Marie Hilaire avant que le jury ne se retire pour délibérer, « Monsieur Damase Atangana, vous avez su mieux que quiconque, rendre intelligible des documents assez complexes, porté dans la pastorale des encycliques parfois dogmatique et philosophique, désormais quand on parlera d’historien, nous vous compterons parmi nous. » Oui, l’Abbé Damase Zinga Atangana auréolé de ce double titre n’a pas oublié la devise qu’il prit le 25 juillet 1992 à Emana sa paroisse d’origine, le jour de son ordination sacerdotale

« Je t’ai tout offert Seigneur dans la simplicité de mon cœur ».

Il a eu pour beaucoup d’entre nous, la parole juste, le conseil éclairé, le coup de main fraternel afin que nous puissions aller au bout de nos choix. La preuve, nous témoignons de lui, nous le célébrons, nous lui exprimons notre reconnaissance. Comme lui-même en historien sait gré les pas porteurs de la bonne nouvelle qui l’ont précédé dans l’épiscopat et dans l’évangélisation dans ce diocèse primatial de Kribi, car oui c’est de Kribi que partit le père Vieter pour évangéliser Yaoundé, et Emana n’est qu’à un jet de pierre de là... Mgr Damase Zinga Atangana, sur cette route vous ont donc précédé, Nnssgrs Heinrich Vieter, Le Mailloux, Bonneau, Joseph Mongo, Simon Tonyé, Pierre Célestin Nkou, Jean Baptiste Ama, Christian Cardinal Tumi, Raphaël-Marie Ze, Jean Mbarga, et Joseph Befe Ateba.

Si hier, Mgr Damase Zinga Atangana a su tout offrir au Seigneur et aux hommes dans la simplicité de son cœur, aujourd’hui comme Evêque il a pris pour devise :

« Misericordià, lusticià et caritatè in officio » « Travaille dans la miséricorde, la justice et la charité »

C’est la devise épiscopale que s’est donnée le désormais et éternel Monseigneur Damase Zinga Atangana. Y-a-t-il des clefs pour comprendre ce choix, quand on a été son condisciple depuis l’école primaire, au collège François-Xavier Vogt, au séminaire Sainte Thérèse, au grand séminaire de l’Immaculée Conception de Nkol-Bisson ou dans la très laïque Université Charles de Gaulle III de Lille ? Peut-être ces clefs sont-elles à trouver dans chacun de ces établissements, mais aussi à Strasbourg qui a formé Jean Marc Ela et Mgr Jérôme Owono-Mimboé. Il faut connaître la théologie protestante, la rencontre de Damase Zinga Atangana avec l’Abbé Albert Le Grang Anya qui l’accueillit comme stagiaire au petit séminaire d’Efok avant de guider ses premiers pas dans le sacerdoce.

Le Pape Benoît XVI le 18 décembre 2011, lors de sa visite à la maison d’arrêt de Rebibbia à Rome disait ceci,

« Justice et miséricorde, justice et charité, piliers de la doctrine sociale de l’Eglise, ne sont deux réalités différentes que pour nous les hommes qui distinguons attentivement un acte juste d’un acte d’amour. Pour nous, ce qui est juste est «ce qui est dû à l’autre», tandis que ce qui est miséricordieux est «ce qui est donné par bonté». Mais pour Dieu, il n’en est pas ainsi : en Lui, la justice et la charité coïncident ; il n’y a pas d’action juste qui ne soit aussi un acte de miséricorde et de pardon et, dans le même temps, il n’y a pas d’action miséricordieuse qui ne soit parfaitement juste. »

Qui d’autre aurait pu choisir une devise aussi lourde de signification en ces temps de peur, de violence que nous vivons ? Si ce n’est Damase Zinga Atangana, lui le moraliste, lui l’historien, lui le spécialiste de la bioéthique, de l’éthique médicale et de la biologie, lui le pasteur. Seul celui qui connaît la naissance de la vie, mieux l’essence de la vie peut lui redonner sa valeur, peut donner sens au mot. Vous savez, oui il saura restituer « ce qui est dû à l’autre ».

Le Pape poursuit son propos en ces termes :

A l’occasion de mon récent voyage apostolique au Bénin, en novembre dernier, j’ai signé une Exhortation apostolique post-synodale dans laquelle j’ai rappelé l’attention de l’Eglise pour la justice dans les Etats, en écrivant : « Il est urgent que soient donc mis en place des systèmes judiciaires et carcéraux indépendants, pour rétablir la justice et pour rééduquer les coupables. Il faut aussi bannir les cas d’erreurs de justice et les mauvais traitements des prisonniers, les nombreuses occasions de non-application de la loi qui correspondent à une violation des droits humains et les incarcérations qui n’aboutissent que tardivement ou jamais à un procès. L’Eglise […] reconnaît sa mission prophétique vis-à-vis de tous ceux et celles qui sont touchés par la criminalité et leur besoin de réconciliation, de justice et de paix. Les prisonniers sont des personnes humaines qui méritent, malgré leur crime, d’être traitées avec respect et dignité. Ils ont besoin de notre sollicitude » (n. 83).

Je me souviens d’un échange que nous eûmes, Damase et moi alors qu’il venait d’être recruté à l’Université Catholique d’Afrique Centrale comme enseignant ; nous méditâmes alors sur la dixième confession (x, 28, 39) de Saint Augustin, « misericors es, miser sum », « Tu es miséricorde, je suis misère » texte complexe dans lequel Augustin lie miséricorde et misère, la miséricorde à la misère. La miséricorde n’aurait pas d’emploi sans la misère dont est affectée l’existence humaine, à la fois corporelle et spirituelle. Comment pouvons-nous entendre ces deux mots qui apparaissent, surgissent dans la devise de Damase Zinga Atangana ? Augustin dit : « Quand on pâtit soi-même, c’est de la misère, et quand on pâtit avec d’autres, c’est de la miséricorde, dit-on d’ordinaire. » (Confessions III, 2, 2). Le nouvel évêque de Kribi a vécu la misère dans sa chair, il sait donc que c’est dans la misère qu’on espère la miséricorde. Comme homme de droit et comme Camerounais, par ces temps que nous vivons, il sait que les hommes et les femmes qu’il a à conduire comme berger espèrent la justice, mais on n’imagine pas de justice sans possibilité de faire miséricorde ; inversement, une miséricorde qui ne tiendrait pas compte de la justice ne serait plus de la miséricorde. Les deux notions sont donc liées. Ce n’est pas seulement le berger qui dit : Misericordià, lusticià et caritatè in officio c’est aussi, et c’est surtout le prédicateur, le défenseur qui se rappelle en lisant le livre de la Genèse de cette formule : « Platicitandiforma inaparadisoprimum videtur inventa », « la manière de plaider paraît se trouver d’abord au paradis1 ». Le Seigneur en effet interroge le coupable présumé et écoute les témoins, qui doivent être au moins deux (en l’occurrence la femme et le serpent), avant de délivrer sa sentence. Damase Zinga Atangana invite donc ceux qu’il conduit et ceux qu’il défend désormais à comprendre que les droits de la défense se trouvent inscrits dans le droit naturel.

Misericordià, lusticià et caritatè in officio dit que la justice est amoindrie, assassinée quand on lui accole une épithète. Il n’y a pas de justice populaire comme il n’y a pas de justice juste, la justice Est la JUSTICE.

Misericordià, lusticià et caritatè in officio dit, éveillez-vous, écoutons, les besoins de la veuve et de l’orphelin, écoutons le peuple qui a faim, « La vigne a séché, le figuier est flétri ; le grenadier

comme le dattier et le pommier, tous les arbres des champs ont séché. Et la joie a disparu chez les hommes2. »

Misericordià, lusticià et caritatè in officio dit « vers toi, Seigneur, je crie ! Car un feu dévore les pâturages du désert, une flamme consume tous les arbres des champs.3 »

Misericordià, lusticià et caritatè in officio dit « les bêtes sauvages soupirent aussi vers toi, car les cours d’eau sont à sec, un feu dévore les pâturages du désert.4 »

Misericordià, lusticià et caritatè in officio dit « ma la vie est miséricorde. L’action est ma parole, le travail est mon délai, l’enfant est ma grâce. Et Dieu est miséricordieux.5 »

Misericordià, lusticià et caritatè in officio chemin de Damas pour Damase Zinga Atangana qui appelle à la responsabilité collective entre la justice exercée par le pouvoir civil et la charité que se réserve l’Eglise dans laquelle il exerce désormais la plénitude du sacerdoce.

Misericordià, lusticià et caritatè in officio dit avec François de Salle que « si la charité est un lait, la dévotion en est la crème » voilà pourquoi les premiers mots de Monseigneur Damase Zinga Atangana furent un appel à une ecclésiologie de communion.

Damase, fara Zinga, Monseigneur Zinga Atangana, revêtu du manteau de serviteur, ceint de la ceinture de pasteur, le peuple de Dieu qui est à Kribi t’accueille et nous tes amis, tes fils, tes frères ne pouvons que t’accompagner dans la joie et l’allégresse. Même si nos mots sont faibles, ils sont habillés de ce que l’Abbé Benoît Ze appelait le « vêtement littéraire apocalyptique » faits d’ingrédients et de condiments rhétoriques pour présenter le prêtre que tu as été, l’évêque que tu es désormais et le pasteur que tu demeures.

1 PAUCAPALEA, Summa über das Decretum Gratiani [ = Somme Quoniam in omnibus], éd. Joh. Friedrich von Schulte, Giessen, 1890, reprod. Photomécanique, Aalen, 1965, p. 1.
2 Livre de Joël 
3 Op.cit. 
4 Op.cit. 
5 Op.cit.