Le 23 mai, un curé de Haute Savoie a été démis de ses fonctions par l’évêque d’Annecy, Mgr Yves Boivineau, à la demande de Rome. En cause?: son appartenance à une loge du Grand Orient de France.
Évêque émérite de Versailles, Mgr Jean-Charles Thomas fait partie des rares à s’être penché sur ces liens conflictuels entre Église et maçonnerie?: à ses yeux, cette réflexion rend nécessaire un dialogue authentique au plus haut niveau.
« Les hasards du ministère ont mis sur ma route un certain nombre de francs-maçons chrétiens. J’avais 35 ans lorsque l’un d’eux me demanda de l’aider spirituellement à l’approche de la mort. Il m’expliqua qu’il avait, chaque jour de sa vie, prié le Notre Père et m’invita à le faire savoir lors de ses obsèques religieuses devant de hauts représentants de l’éducation nationale. Par la suite, j’ai rencontré de façon suivie d’autres maçons de diverses obédiences. Nous avons même publié une cassette vidéo intitulée Jardin caché résumant ces dialogues. L’un d’eux, aujourd’hui âgé de 93 ans, me disait récemment?: ‘‘La maçonnerie fut un moyen de construction spirituelle. Je n’en ai plus besoin. C’est la foi chrétienne qui me fait vivre maintenant.’’ Je reconnais ces faits?: ils m’éclairent plus que les débats trop théoriques ayant un faible rapport avec les réalités.
La position romaine n’a pas varié ces dernières décennies. Le 23 novembre 1983, le cardinal Ratzinger est allé très loin en affirmant?: ‘‘Les fidèles qui appartiennent aux associations maçonniques sont en état de péché grave.’’ Il a précisé le 23 février 1985?: ‘‘Une telle inscription constitue objectivement un péché grave.’’ Pour ma part, j’ai préféré écrire, dans une étude publiée en 1994 à ce sujet?: ‘‘Le fidèle éclairé doit réfléchir sérieusement aux risques qu’il court en acceptant l’initiation à une loge maçonnique?: il lui appartient, ainsi éclairé, de s’appliquer éventuellement la sanction de ne pas communier s’il a conscience d’avoir librement, volontairement, pris une décision qui le mettait en état de rupture grave avec Dieu.’’
Seul le dialogue peut permettre l’écoute mutuelle
Du 8 mars 1992 au 3 avril 1997, j’ai échangé largement avec le cardinal Ratzinger sur la maçonnerie?: la prudence de l’Église vis-à-vis des loges s’explique par le fait que le chrétien y fréquente des personnes de toutes appartenances religieuses, les écoutant sans entrer en débat avec elles, qu’il peut tomber dans le syncrétisme religieux, qu’il y fait un travail de construction spirituelle par ses propres forces et principes, qu’il est susceptible d’y croiser des adversaires fortement opposés aux Églises et à leurs principes religieux, qu’il s’associe à des rites qu’il pourrait confondre avec des sacrements, qu’il peut en arriver à préférer son adhésion maçonnique à sa foi chrétienne…
Le ‘‘secret maçonnique’’ complique les relations ‘‘hors loges’’ et peut donner libre cours à toutes sortes de fantasmes antimaçonniques. Ajoutons qu’historiquement, des açons italiens comme Garibaldi ont affronté le pouvoir pontifical et l’ont privé de ses États en 1870. On ne dépassera jamais le blocage entre l’Église et les loges maçonniques si on en reste à des réflexions théoriques et séparées entre les deux institutions. Seul le dialogue librement consenti entre des responsables de l’Église catholique et des obédiences maçonniques peut permettre l’écoute mutuelle aboutissant à une vraie connaissance réciproque, sans jugement préalable. Des questionnements deviendront possibles. Des constats de différences irréductibles apparaîtront. Alors seulement, on aura les éléments indispensables pour répondre honnêtement à la question de la ‘‘double appartenance’’. »