« C’est une histoire rocambolesque de bout en bout. » Quelques heures après l’abandon des poursuites contre Patrice Nganang, ordonné dans la matinée du mercredi 27 décembre par le tribunal de première instance de Yaoundé, l’avocat de l’écrivain, Me Emmanuel Simh, ne masque pas sa surprise.
Expulsion
Alors que son procès était prévu pour le 19 janvier, Patrice Nganang, poursuivi pour « apologie de crime », « menaces » et « outrage à corps constitués », a finalement été présenté à 9 heures, ce mercredi, au tribunal de première instance de Yaoundé pour se voir notifier sa libération prochaine. Son avocat n’a été prévenu qu’à la dernière minute.
« Je suis reparti de la prison vers 17 heures mardi [26 décembre], après ma visite quotidienne pour voir Patrice Nganang. Ni lui ni moi, n’avions alors été notifiés de l’avancement de la date du procès. Ce n’est qu’à 20h30 que j’ai été prévenu que l’audience allait avoir lieu le lendemain. C’est extrêmement inhabituel comme façon de fonctionner », résume Me Simh, contacté par Jeune Afrique.
Patrice Nganang, qui avait plaidé non coupable lors de la première audience de son procès, le 15 décembre, est donc libre. Mais il devait être expulsé du Cameroun mercredi à 14 heures, selon son avocat.
« J’ai été convoqué dans le bureau du procureur peu après l’audience pour récupérer les effets personnels de Patrice, mais son passeport camerounais ne m’a pas été remis. J’ai été informé qu’une procédure d’expulsion était en cours. Il a été emmené vers l’aéroport par des policiers, où il doit embarquer pour les États-Unis puisqu’il a également un passeport et la nationalité américaine », explique-t-il.
Outrage au président
Arrêté le 6 décembre à l’aéroport de Doula, alors qu’il s’apprêtait à prendre un vol de Kenya Airways pour Harare, au Zimbabwe, pour des raisons familiales, Patrice Nganang avait été placé en garde à vue pour « outrage au président de la République » suite à des propos tenus sur les réseaux sociaux à propos de la crise dans les deux provinces anglophones.
« Faites-moi confiance et je ne blague pas, je l’ai devant moi, lui Biya, et j’ai un fusil, je vais lui donner une balle exactement dans le front. Je le dis depuis Yaoundé où je suis », avait-il écrit, le 3 décembre, sur Facebook. La veille de son arrestation, l’écrivain, qui réside aux États-Unis, avait publié sur le site de Jeune Afrique un « Carnet de route en zone (dite) anglophone », dans lequel il critique l’approche du régime dans la résolution de la crise qui agite le pays depuis plus d’un an.
Alors que l’écrivain devait être présenté le 11 décembre au procureur de la République, sa garde à vue avait été prolongée et les accusations initiales d’outrage remplacées par des faits « d’immigration clandestine », de « faux et usage de faux » et de « menaces ».
Pressions sur le gouvernement
Depuis l’arrestation de l’auteur de « Temps de chien », prix Marguerite Yourcenar et Grand prix de la littérature d’Afrique noire, les appels pour sa libération s’étaient multipliés. Des ONG camerounaises comme internationales, à l’instar de la FIDH, se sont mobilisées, et un collectif d’écrivains a lancé une pétition pour sa libération immédiate qui a recueilli près de 10 000 signatures.
« La société civile a joué un rôle très important, la mobilisation d’ONG et d’ambassades ont mis une importante pression sur le gouvernement », estime Maximilienne Ngo-Mbe, directrice exécutive du Réseau des défenseurs des droits humains en Afrique centrale (Redhac).
« Avec tous les rebondissements et les changements dans la procédure, la situation n’était plus tenable pour le gouvernement, qui subissait aussi une forte pression médiatique », confirme Me Simh, qui avait dénoncé une procédure à caractère politique « contre quelqu’un qui a des positions connues et tranchées contre le régime de M. Biya », le président de la République.