Il n'a pas fait campagne, ni prononcé de discours, ni même détaillé son programme... Et pourtant, le chef de l'État, au pouvoir depuis près de trente-six ans, a toutes les chances d'être réélu le 7 octobre.
C'est une petite bourgade de l'Ouest montagneux. Quelques milliers d'habitants, de jolies villas et un marché hebdomadaire. En ce 15 septembre pourtant, Bana a des allures de capitale : tout le Cameroun politique et des affaires se retrouve autour de la dépouille de Joseph Kadji Defosso, pionnier et doyen des industriels du pays, décédé le 23 août à l'âge de 95 ans.
Il y a là des ministres, dont Louis- Paul Motazé, Jacques Fame Ndongo, une brochette d'évêques, beaucoup de patrons, et même deux candidats à l'élection présidentielle du 7 octobre, Maurice Kamto et Joshua Osih. Et puis il y a l'absent, celui que du reste personne n'attendait vraiment : Paul Biya, 85 ans, est rentré le jour même de ses vacances genevoises, mais il n'est pas venu saluer la mémoire de ce symbole du capitalisme bamiléké.
Marcel Niat Njifendji, le président du Sénat, a été chargé de le représenter. Moins parce que la région est traditionnellement acquise à l'opposition que parce que le chef de l'État n'assiste que très rarement aux cérémonies funéraires, tout le monde le sait.
Absent et représenté, le président l'est aussi dans la campagne électorale. Depuis qu'il a annoncé par un tweet son intention de briguer un septième mandat, le 13 juillet, Paul Biya n'a plus rien fait ou dit qui pourrait laisser penser que l'issue du scrutin à venir le préoccupe un tant soit peu. Le fait qu'il ait choisi Twitter a pu sembler être le préambule d'une campagne moderne... Mais alors que ses adversaires sont sur tous les fronts, menant pour certains un efficace travail de terrain, le président ne bouge pas.
Il n'a pas réuni le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC) en congrès pour faire approuver sa candidature. Le 20 septembre, il n'avait toujours pas nommé un directeur de campagne et aucun déplacement n'était prévu. Pas un discours, pas une interview dans la presse.
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Alors un débat ! En trente-cinq années de pouvoir, Biya ne s'est jamais prêté à l'exercice. Patron de la CRTV, la télévision à capitaux publics, Charles Ndongo a dû expliquer, sans convaincre, que « le président n' [était] pas un candidat comme les autres ».
Il ne faut donc pas s'attendre à voir le chef de l'État sortant défendre son bilan ou s’escrimer à adhérer les électeurs à son nouveau projet de société. En 2004, son programme mettait en avant de « grandes ambitions ». En 2011, il vantait les « grandes réalisations ». Mais, cette année, les stratèges qui l'entourent peinent à inventer un slogan...
Son silence se veut « arme de campagne », selon les mots de son infatigable pourfendeur, l'avocat Yondo Mandengue Black, qui l'attaque dans une nouvelle lettre ouverte publiée à la mi-septembre. Biya, qui s'était présenté à la fin des années 1980 comme étant le « meilleur élève » de François Mitterrand, a repris à son compte la théorie de la « rareté » de la parole du monarque républicain chère à Jacques Pilhan, le conseiller personnel du défunt chef de l'État français. Il applique la recette sans mise à jour, sans tenir compte des changements du pays. Il ne s'adresse à ses compatriotes que deux fois dans l'année : le 31 décembre et le 11 février, jour de la fête de la jeunesse.
« Si le président n'a jamais communiqué, c'est aussi parce qu'il n'aime pas sa voix, précise un journaliste proche du pouvoir. Si j'étais son collaborateur, je lui déconseillerais de parler ».
Louange et flatterie
Paul Biya se tait, mais ses ministres parlent pour lui. Des livres sont publiés, des tribunes sont rédigées... Rien de tout cela n'est véritablement coordonné, mais démontre – si besoin était - que les membres de la cour sont prêts à pousser toujours plus loin la louange, l'intéressé ayant lui-même manifesté une certaine sensibilité à la flatterie. Ce n'est pas un hasard si, en cette mi-septembre, le Tout-Yaoundé a autant commenté la réédition du livre Pour le libéralisme communautaire, un ouvrage signé Paul Biya censé résumer le socle doctrinal du RDPC et publié une première fois en... 1988.
Mais il est des silences qui parlent mieux que tous les discours. Ils dispensent aussi le dirigeant de présenter un programme « New Deal », de proposer par exemple de créer une protection maladie universelle, de faire protection maladie universelle, de faire baisser la corruption, de réduire l'évasion fiscale, d'améliorer le cadre des affaires et l'attractivité du pays...
En ne proposant rien d'autre que lui-même aux Camerounais, ce séminariste qui échappa à la prêtrise pour embrasser une carrière politique avance drapé de la légitimité de l'homme providentiel, seul capable de gouverner le pays.
Quand, le 31 décembre, il livre son discours de fin d'année, ses paroles ne sont pas toujours suivies d'effets. « Vous êtes le président des promesses non tenues », tance Yondo Black. En fait, le chef de l'État gagne du temps. En 1996, il a fait voter une Constitution qu'il a tardé à faire respecter : les toutes premières élections sénatoriales n'ont pas été organisées avant 2013 et les toutes premières sénatoriales n'ont pas été organisées avant 2013 et les membres du Conseil constitutionnel n'ont pas été nommés avant février cette année.
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Il n'a jamais fait appliquer non plus l'article 66 de la Loi fondamentale, qui impose aux fonctionnaires et aux élus de publier une déclaration de leurs biens. Il s'est joué de Niels Marquardt, ambassadeur des États-Unis à Yaoundé entre 2004 et 2007, qui avait fait du respect de cette disposition une priorité de la lutte contre la corruption.
Se fondant sans doute sur une promesse présidentielle, le diplomate avait convoqué la presse pour assurer qu'il avait « de bonnes raisons de croire que cet article [serait] mis en application avant fin 2006 ». C'était il y a douze ans. Le message est clair : on ne force pas la main de Paul Biya.