Paul Biya, 85 ans, dirige le Cameroun depuis 1982. Comme si, dans ce laps de temps, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, François Hollande et Emmanuel Macron étaient restés des conseillers de l’ombre d’un François Mitterrand toujours au pouvoir.
Le président camerounais est le plus ancien chef d’État africain en exercice et devrait –sauf surprise– obtenir une sixième réélection à l’issue d’un scrutin présidentiel qui s’est tenu dimanche 7 octobre, sous le contrôle total du régime. En 2008, le pouvoir exécutif avait pris soin de modifier la Constitution camerounaise pour supprimer toute limite au nombre de mandats exercés.
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Quatre ans et demi hors du pays
J’ai côtoyé Paul Biya, de loin, au luxueux hôtel Le Royal à La Baule. Le vieux dictateur s’y rend souvent en villégiature. À l'époque, je travaillais durant l’été au service restauration du palace pour financer mes études. Disposé au service en chambre, j’apportais les déjeuners aux clientes et clients qui préféraient manger dans leur suite plutôt qu'au restaurant de l’établissement. Paul Biya était de ceux-là.
Accompagné d’une cinquantaine de personnes, il occupait un étage entier de l’hôtel lors de ses venues. Une question de sécurité, mais aussi de luxe: il fallait des chambres spacieuses pour tous ses proches. Je devais moi-même livrer le repas du président à son majordome, posté à l’entrée du couloir, qui s’occupait ensuite de pousser la table à roulettes jusqu’à la chambre de Paul Biya.
En cuisine, il se murmurait que les dépenses de la délégation dépassaient allègrement les 10.000 euros par jour, chambres et repas compris. Le président camerounais se rend toujours régulièrement à La Baule.
Paul Biya, surnommé «le sphinx» pour son goût du secret, a toujours aimé passer du bon temps loin de son pays. Ses voyages à titre privé à Genève, La Baule ou Paris l’emportent souvent sur l’actualité camerounaise.
En octobre 2016, lorsque l’accident d’un train de la compagnie Camrail, détenue par le groupe Bolloré, avait fait soixante-dix-neuf morts dans la ville d’Eseka, Paul Biya était à Genève, dans un hôtel de luxe où il a son rond de serviette. Il était revenu au pays plus de deux jours après le drame.
Même chose quand des émeutes avaient éclaté en 2017 dans la région anglophone du Cameroun, à l’ouest du pays. Cette fois, le dictateur n’avait même pas jugé bon de revenir dans son palais d’Etoudi, sur les hauteurs de la capitale Yaoundé. Il n’était rentré de Suisse que trois semaines après le début du soulèvement populaire et indépendantiste –qui n’est d'ailleurs jamais vraiment retombé dans le Cameroun anglophone, dont la population s’estime oubliée par le pouvoir central.
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L’ONG Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP), spécialisée dans les enquêtes sur les mauvaises pratiques politiques, a publié en février 2018 un rapport sur la présidence de Paul Biya. Elle estimait qu'en trente-six ans, le président camerounais avait passé quatre ans et demi hors du pays lors de voyages privés, qui ne correspondaient pas à des déplacements politiques officiels. Certaines années, comme en 2006 ou 2009, le chef d’État camerounais a passé un tiers de son temps à l’étranger.