Avant l'accident, il y a une concession de service public qui octroie le monopole du transport, par train, des personnes et des marchandises à la société CAMRAIL. Il y a ensuite l'Etat dont la tutelle technique est assurée par le ministère des Transports. Des questions se posent : le tuteur s'est-il assuré que la concession est exécutée dans son entièreté par toutes les parties?
La concession a une portée juridique synallagmatique, nous dit-on. Les parties ont-elles rempli convenablement toutes les obligations qui en découlent ? N'y at- il pas matière à faire plus que des reproches au tuteur du fait de la non- application de certaines dispositions concessionnelles?
L'exercice relâché de la tutelle technique est donc source d'une responsabilité (au moins sans faute) que le peuple a raison de retenir, et qui a amené le Président de la République à prescrire un audit (de performance) de la concession liant l'Etat et la société CAMRAIL.
Avant l'accident, il y a également et enfin la protection civile en relation avec l'activité de transport ferroviaire. La protection civile se résume souvent en un ensemble de sûretés qui préviennent les accidents, les risques, les catastrophes naturelles et les calamités d'une part, et organisent les secours et l'assistance en cas d'accident, de risque, de catastrophe naturelle ou de calamité d'autre part.
Qui peut affirmer de manière irréfutable qu'il y ait eu, sous le regard des autorités compétentes, le moindre plan de prévention et/ou d'organisation des secours (plan d'orsec) simulé ou testé périodiquement pour prévenir le type d'accident qu'Eséka a connu ce jour maudit? Au demeurant, qui sont les autorités compétentes pour faire cette prévention ?
Les textes règlementaires nous renseignent que ce sont le ministère de l'Administration territoriale et de la Décentralisation (MINTAD), le corps national des sapeurs-pompiers (CNSP) et les collectivités territoriales décentralisées (principalement les communes et les communautés urbaines, les régions n'ayant pas encore de réalité physique). Les articles 1(2) et 52 du décret n°2005/104 du 13 avril 2005 portant organisation du ministère de l'Administration territoriale et de la Décentralisation disposent suffisamment sur les risques, les catastrophes naturelles et les calamités donc sur la protection civile.
Qu'est-ce qu'un risque sinon la probabilité de réalisation d'un évènement négatif combinée avec l'impact chiffré que l'événement peut avoir? Au-delà du caractère incertain, le risque associe donc indiscutablement deux éléments déterminants:
la probabilité voire la fréquence de réalisation et la gravité ou l'impact chiffré (évaluation quantitative). Dès lors, peut-on dire que l'accident ferroviaire d'Eséka est un risque? Assurément, oui!
Dès lors encore, on peut affirmer que la prévention d'un tel accident et l'organisation des secours à sa survenance relevaient bien de la protection civile donc du Préfet du Nyong-et-Kellé d'une part, de l'unité du corps national des sapeurs-pompiers territorialement compétente et de la commune d'Eséka d'autre part. Ces autorités avaient-elles les moyens et la capacité de prévenir cet accident ? Cette question montre que la réalité de la protection civile au Cameroun est plus complexe.
En effet, l'article 3 du décret n°2004/058 du 23 mars 2004 portant création et organisation des formations et des unités territoriales du Corps national des Sapeurs-pompiers (CNSP) stipule que ce corps inter-armé est chargé, entre autres missions, de la protection civile. Avant d'ajouter qu'à cette fin, il reçoit des moyens des collectivités territoriales décentralisées notamment des moyens financiers et des sites qui deviennent des domaines militaires.
Il se dégage donc clairement de ce qui précède que les textes consacrent un partage de compétence d'une part, et un monopole des ressources affectées à la protection civile d’autre part. Un montage qui a pour effet de rendre inopérant le volet préventif de la protection civile tant la coordination peut être lourde, les problèmes transversaux nombreux, difficilement « surmontables », sans parler du difficile transfert des ressources financières.
L’examen des responsabilités après l'accident confirme cette dualité de compétence en matière de protection civile d'une part, et le lourd handicap financier qui se dresse devant l'action du CNSP d'autre part.
Dès la survenance de l'accident, c'est le dispositif de secours, d'assistance et d'aide prévu dans le plan d'OSRSEC qui aurait dû se mettre en place, sous la direction opérationnelle du préfet, du maire ou d'un chef du corps national des sapeurs-pompiers. Tel n'a pas été le cas à Eséka.
Au demeurant, un tel dispositif existait-il à Eséka qui est l'une des gares les plus importantes de l'axe ferroviaire Douala- Yaoundé? Assurément non! La réponse est d'autant plus négative que les premiers secours ont été apportés par les populations ! C'est probablement fort du constat de défaillance préventive et organisationnelle de ces administrations que le Président de la République a instruis le renforcement du dispositif actuel de la protection civile, sans indiquer explicitement ni publiquement leurs degrés respectifs de responsabilité dans l'accident.
Mais, qui peut penser que dans son infinie sagesse, le Président de la République ait éludé ces degrés respectifs de responsabilité?
La protection civile, les risques, les calamités et les catastrophes naturelles bénéficient donc d’un financement public égal à 5% de l'assiette nationale des centimes additionnels communaux(Cac). Le ministre de l'administration territoriale et de la décentralisation en est l'ordonnateur des fonds dont le FEICOM assure la centralisation et la gestion comptable.
L'existence de cette affectation partielle des Cac explique pourquoi les collectivités territoriales décentralisées n’apportent pas de concours financiers directs à la protection civile. Au demeurant, les montants budgétisés sur la ligne budgétaire « aides, dons, cadeaux et secours » sont engagés, liquidés et ordonnancés par les ordonnateurs municipaux pour d’autres cas qui relèvent plus de l’indigence des demandeurs, au mieux. Ainsi, malgré ce financement public sûr, la protection civile est toujours si peu opérationnelle au Cameroun. 5% des Cac par an, me direz- vous, c'est insuffisant, mais pourquoi ne les transfère-t-on pas directement au CNSP qui fait la réalité du travail sur le terrain ?
Une digue vient-elle à rompre dans l'extrême- nord, que les sapeurs pompiers d'une part et un déblocage spécial du chef de l'Etat d'autre part sont sollicités.
Un incendie vient-il à éclater dans un marché de Douala, de Bafoussam ou de Yaoundé, que les mêmes sapeurs pompiers sont appelés. Jamais, on a vu sur le terrain, les unités de la protection civile, ni pour prévenir, ni pour secourir. Si! Quand même. Depuis un an que la direction de la protection civile du Minatd est entre les mains d'une femme, on voit des actions de prévention qu'il faut amplifier au double plan national et international.
Il y a donc des choses à faire pour que demain, la gestion immédiate d'un accident, même le plus imprévisible, ne vienne plus laisser cette fâcheuse impression que la fatalité est plus forte que l'Etat moderne que le peuple sue à construire. Parmi les choses à faire, il y a l’élaboration des plans de prévention des risques et d’organisation des secours. Il y a ensuite la simulation périodique de ces plans. Il y a également l’information et la formation du public, mais aussi la création de véritables unités départementales de protection civile sur des sites cédés par les communes. Il faut enfin doter ces unités départementales de personnels bien formés et de moyens adéquats. En peu de mots, il faut améliorer les textes existants et amplifier leur application.