Comme ses millions de compatriotes, touchés par l’accident de train survenu à Eséka le 21 octobre 2016, Me Akere Muna est triste. Le juriste de haut vol s’est exprimé dans une tribune publiée ce mercredi 26 octobre 2016.
Il parle d’une «tragédie évitable» et appelle la société Camrail propriétaire du train de la mort à prendre ses responsabilités. «Les histoires des blessés sans assistance dans les hôpitaux, et le manque de coordination dans la gestion de tous les aspects humanitaires d'une telle tragédie relèvent complètement de la responsabilité de Bolloré qui est le propriétaire de Camrail», écrit-il.
Il appelle aussi l’État camerounais à faire pression sur le groupe Bolloré afin qu’il privilégie le respect de la dignité et de la vie humaines. «Les oiseaux et les poissons après une marée noire ont été mieux traités. Respectons la vie; que le gouvernement interpelle Bolloré. Le problème de l'attention adéquate à la prévention et à la gestion du risque de désastre n'est pas une question de philanthropie ou même de responsabilité légale, c'est une question autant commerciale qu’économique», lit-on dans sa réflexion dont voici le texte intégral.
Deuil face à une tragédie évitable
Bâtonnier AKERE MUNA Barrister - at - Law (of Lincoln’s Inn London)
À ce jour, je reste sous le choc des événements tragiques du vendredi 21 octobre2016. Les histoires des familles éprouvées et des victimes de l'accident du train à Eséka résonnent encore dans mes oreilles. Le mari qui 48 heures durant, recherchait encore le cadavre de sa conjointe, la jeune dame travaillant dans le laboratoire d'une clinique, dont le téléphone est décroché par un intervenant militaire, l'étudiant en médecine, le fils qui était devenu le sommet de l'espoir d’une famille entière. Ainsi en est-il, que face à une tragédie évitable, l’on est appelé à contrôler la peine, la colère et le sentiment d’impuissance.
Alors, quel genre de réflexion peut-on avoir pour exprimer avec éloquence l'émotion et la colère, tout en sympathisant avec les familles et en implorant un avenir d’espoir? Quel genre de réflexion peut-on mener en de telles circonstances, en évitant l’amertume et la démagogie? Quel genre de réflexion peut-on conduire pour nous rappeler que l'humanité doit être au centre des actions de ceux qui gèrent les affaires de notre société ? C'est en effet sur l’action que nous mènerons dorénavant que se fonde la probabilité de permettre aux familles éperdues de douleur d’accepter un jour avoir été les victimes aléatoires du sacrifice ultime qui a réveillé une nation au simple fait que la gouvernance doit avoir un visage humain.
Les événements du vendredi 21octobre sont un triste aperçu d'un avenir que nous pourrions bien affronter si nous ne nous réveillons pas au fait que le développement, avant tout, doit avoir pour objectif, d’améliorer la condition humaine: une société juste et équitable, une société en sécurité et en bonne santé, et une société qui garantit à chaque enfant un accès à une éducation qui améliore son avenir.
Oui, ce désastre a fait les gros titres à l’échelle nationale et internationale et nous savons tous que ce sera du court terme. Cependant, nous devons nécessairement réaliser que pour tous ceux affectés par cette tragédie, la vie ne sera plus jamais la même, que le rétablissement se fera à long terme. Trop souvent nous ont été rappelées la vulnérabilité de notre nation et la fragilité de notre système de gouvernance, et pourtant nous continuons à fonctionner comme des gens qui n'ont rien appris et ont tout oublié.
Ainsi, aux chers disparus, je peux seulement offrir mes prières pour le repos de leurs âmes, et à leurs familles mes plus sincères condoléances. À ceux qui sont aux soins, je prie pour leur prompt rétablissement. Nous, en tant qu’une nation, devons demeurer conscients du fait que notre sympathie et nos prières pour les victimes de cette catastrophe ne peuvent pas en soi leur apporter le courage pour faire face à l’avenir ou ranimer la flamme de l'espoir.
Notre nation doit maintenant décider quelle route elle suivra dorénavant. Quelle que soit la décision, elle est condamnée à échouer si elle n’est pas centrée sur l'humanité et la moralité. Face à la mort, particulièrement dans de telles tragiques circonstances, nous devons apprendre à honorer la vie par les actions que nous prenons pour nous assurer que la négligence et le manque d’égards de quelques-uns ne deviennent la source des peine et colère pour une nation entière. Les Hommes, Femmes et Enfants d’Eséka ont juste fait cela. Ils étaient des citoyens ordinaires qui ont agi extraordinairement comme premiers intervenants dans cette stratégie qui était évitable. À eux, nous comme nation, nous devons être reconnaissants. Car, ce faisant, nous honorons la vie.
C’est ce qui est attendu de Bolloré, qui devrait aussi honorer la vie. Les histoires des blessés sans assistance dans les hôpitaux, et le manque de coordination dans la gestion de tous les aspects humanitaires d'une telle tragédie relèvent complètement de la responsabilité de Bolloré qui est le propriétaire de Camrail. Leur échec dans la communication et dans la gestion de la crise a été exposé par le courage et l'initiative louable du président du conseil d'administration qui agissait à la place de la direction de la société. Le manque d’égards aux aspects humains, d'un tel investisseur étranger faisant des affaires, doit nécessairement être accusé. Aucune nouvelle au sujet du soin psychologique aux premiers intervenants et aux victimes qui ont survécu. Regarder des personnes mourir lentement tandis que vous vivez n’est pas un évènement banal. Les citoyens touchés par cet incident font face aujourd'hui à de cruels défis émotionnels et physiques. Les Camerounais observent ce genre de soins donnés dans d'autres pays après des désastres semblables, et on devrait demander à Bolloré, si les Camerounais sont d’une race inférieure. Les oiseaux et les poissons après une marée noire ont été mieux traités. Respectons la vie; que le gouvernement interpelle Bolloré. Le problème de l'attention adéquate à la prévention et à la gestion du risque de désastre n'est pas une question de philanthropie ou même de responsabilité légale, c'est une question autant commerciale qu’économique.
On espère que de cette tragédie on comprenne qu'une interaction beaucoup plus étroite entre le gouvernement et les entreprises est nécessaire pour assurer des stratégies appropriées de réduction de risque, des mesures adéquates pour l'exécution des mesures de protection et de sécurité, et un régime d’assurances-responsabilité qui tient effectivement compte des besoins équitables de la communauté et des entreprises.